Romandie
plus excités de ses amis. C’était
insuffisant pour peser sur le destin du canton, étant donné que les
cinquante-trois catholiques appelés à siéger soutiendraient le gouvernement
présidé par Jean-Jacques Rigaud, Premier syndic.
Aucun radical n’ayant été désigné au bureau du Grand Conseil
et au Conseil d’État, les conservateurs genevois espéraient que la prudente
politique réformatrice du précédent régime serait poursuivie, cette fois, avec
l’assentiment d’une forte majorité de citoyens.
C’était compter sans le dépit des radicaux qui, ayant pris
leurs désirs pour des éventualités prometteuses, se voyaient tenus à l’écart de
la direction des affaires. Quand on leur faisait observer, avec un peu d’ironie,
que Genève était devenue, comme ils le souhaitaient, une véritable démocratie, ils
répondaient, amers et courroucés : « une démocratie sans démocrates ! »
Étant sous-entendu qu’eux seuls pouvaient prétendre à ce titre, souvent dévoyé
par les minoritaires démagogues, avides de pouvoir.
Quand on en vint à l’élection des membres du Conseil
municipal, créé par la nouvelle Constitution, le Journal de Genève, organe
de l’opposition radicale, soutint une coalition de radicaux et d’anciens
membres de l’association du Trois-Mars, libéraux modérés. Cette stratégie
électorale s’était révélée bénéfique pour les extrémistes, car une cinquantaine
de candidats, dits libéraux, furent élus contre une trentaine de conservateurs.
M. James Fazy et ses amis purent, enfin, se réjouir. Si le gouvernement de
la République était aux mains des conservateurs, les onze membres du Conseil
administratif, exécutif du Conseil municipal, élus par les conseillers
municipaux, livraient la cité de Calvin aux radicaux. Les libéraux modérés, qui
avaient aidé à leur élection, étant devenus d’aimables figurants !
James Fazy le savait mieux que quiconque : celui qui ne
détient pas tous les pouvoirs n’a pas le pouvoir. Aussi, après avoir lancé la Revue
de Genève, un journal plus agressif que le Journal de Genève, sur lesquels
les radicaux ne pouvaient plus compter pour contrer les feuilles conservatrices – le Fédéral et le Courrier de Genève –, le meneur radical
choisit le temps où le Grand Conseil discutait de la loi sur l’administration
du Conseil d’État, pour tenter une action révolutionnaire en soulevant le
faubourg Saint-Gervais contre les conservateurs de la haute ville. Les articles 24
à 26, définissant les pouvoirs de la police et organisant la surveillance des
étrangers, déplaisaient particulièrement aux amis de M. Fazy et
constituaient, pour le bon peuple, de beaux épouvantails réactionnaires.
Le 13 février, la Treille avait été envahie par la
foule des opposants, tandis que des embrigadés – citoyens volontaires, défenseurs
du gouvernement, armés de pistolets et de poignards, au dire de leurs
adversaires – se mettaient en place pour tenter de maintenir l’ordre. Vers
seize heures, pendant la séance du Grand Conseil, des manifestants avaient
cerné l’hôtel de ville et, la menace se précisant, le gouvernement avait fait
sonner le tocsin, tandis que les milices arrivaient à la rescousse des
embrigadés et que la gendarmerie prenait position devant la salle du Conseil.
La loi sur l’organisation du Conseil d’État ayant été votée
par quatre-vingt-neuf voix contre trente, la nouvelle s’était répandue sur la
Treille. Les gens du faubourg Saint-Gervais avaient découvert leurs armes et, obéissant
sans doute à un plan préconçu, avaient édifié, avec des charrettes et des
poutres, des barricades au pont de Bel-Air et au pont des Bergues. Au cours de
la nuit suivante, une centaine d’insurgés avaient lancé un coup de main sur la
poudrière de l’Observatoire mais, les brigades leur ayant barré le chemin, les
sectionnaires – membres des sections armées du parti radical – avaient
remonté la rue Verdaine, pour tenter d’atteindre leur but en empruntant la
promenade Saint-Antoine et la rue des Chaudronniers. Les miliciens et les
embrigadés qui attendaient de pied ferme avaient dû faire usage de leurs armes
pour arrêter la marche des émeutiers. On avait dénombré trois morts et de
nombreux blessés. La tentative de révolution populaire inventée par les
radicaux ayant échoué, les émeutiers avaient regagné Saint-Gervais pour panser
leurs plaies, tandis que les
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