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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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des reflets de porcelaine. Le terme « temple de la
finance » semblait qualifier au mieux ce décor sobre et cossu, d’où
émanait un sentiment composite de mystère, de solidité, de puissance et de pérennité.
On devinait que des secrets chiffrés entraient là pour n’en plus sortir. Ici, le
luxe tenait plus à la qualité des matériaux qu’à l’originalité de l’architecture
et du mobilier. Il ne pouvait manquer d’inspirer confiance aux déposants.
    Au premier étage régnait, au contraire, une atmosphère quasi
monacale. Au long des couloirs aux murs crémeux, sur des parquets de chêne
clair en partie couverts par un chemin marron à motifs beiges qui absorbait le
bruit des pas, ouvraient les bureaux. Axel pénétra dans celui de Pierre-Antoine
et reconnut la longue table de noyer patiné, derrière laquelle il avait toujours
vu le banquier, et le même fauteuil de bois aux accoudoirs polis et décolorés
par l’usage, mobilier d’une rigueur calviniste que M. Laviron avait hérité
de son père et auquel il restait attaché comme un ouvrier à ses outils. « Un
bureau n’est pas fait pour se prélasser ou rêver, disait-il, mais pour accomplir,
chaque jour, l’ouvrage que le Seigneur attend de vous en reconnaissance de ses
bienfaits. » Un siège dur, au dossier droit, une table grande et nette, un
encrier de cristal taillé, à couvercle de vermeil, des plumes, un sous-main aux
angles de cuir râpé, dont le buvard, changé une fois par an, offrait l’image d’une
nébuleuse noire sur fond vert, des murs nus suffisaient à cet homme, qui
dispensait volontiers aux siens confort et luxe superflu. Seul élément de décor,
qu’Axel reconnut aussi : un des étranges tableaux que peignait Anicet, le
défunt fils du banquier. D’un torrent de lave pâteuse et sanguinolente, glissant
d’un volcan entre des rocs déchiquetés, émergeaient des mains crispées par la
souffrance, que les ensevelis tendaient vers un ciel serein où folâtraient des
anges indifférents. Axel comprit pourquoi M. Laviron avait choisi d’avoir
toujours sous les yeux cette œuvre d’un fils douloureusement méconnu. Indifférent,
lui aussi l’avait été, et maintenant, chaque fois qu’il levait les yeux de son
travail, la toile fantastique ravivait son remords.
    En sortant de la cellule du banquier, M. Métaz se
heurta à sa filleule, toujours au bras du Nyonnais barbichu, chevalier servant
du moment. À la vue de son parrain, elle remercia le jeune homme et l’abandonna
pour prendre la main d’Axel.
    — Viens, que je te montre mon antre, dit-elle en l’entraînant
à l’autre bout du couloir.
    La pièce, éclairée par une haute fenêtre, donnait sur la
Corraterie. Un fin voilage tamisait la lumière et des doubles rideaux de damas
vert céladon créaient, avec deux bergères couvertes d’un reps assorti aux
tentures, une ambiance douillette et raffinée. Dès le seuil de cette pièce, dont
le parquet disparaissait sous un tapis d’Orient, Axel admit que labeur et
féminité n’étaient pas incompatibles.
    Sur l’une des cloisons était fixé un grand planisphère, sur
les autres le visiteur identifia une gouache de Jakob Eggli, Vevey, vue de
la terrasse Saint-Martin, et une Barque du Léman, voiles en oreilles, aquarelle
offerte par François Aimé Louis Dumoulin, défunt professeur de dessin, à son
élève. Métaz parcourut les titres des ouvrages serrés sur les rayons d’une
bibliothèque d’acajou. Droit international, commercial, maritime, rapports sur
les chemins de fer anglais et français, recueils de jurisprudence, voisinaient
avec des numéros de la Revue encyclopédique, de la Bibliothèque universelle
de Genève, et des traités parmi lesquels il repéra les Nouveaux
principes d’économie politique de Sismondi et plusieurs Mémoires publiés
par la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève, signés Auguste De
la Rive. L’un d’entre eux retint son attention, car il traitait des récentes
découvertes faites sur l’électricité, dont Martin Chantenoz, peu avant sa mort,
affirmait que cette force nouvelle remplacerait un jour la vapeur.
    — Tu t’intéresses à ces choses ? demanda Axel, étonné,
en montrant l’ouvrage.
    — Et comment ! L’électricité est un fluide encore
un peu mystérieux, contenu dans la matière. Mais les savants estiment que, demain,
il pourra fournir de la lumière aux maisons et de l’énergie aux machines. Or, tu
le sais,

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