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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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le développement de l’éclairage des villes au gaz de houille – puisque
nous avons sur la Corraterie le premier des trois cents candélabres prévus pour
éclairer d’ici quelques mois les rues de Genève – nécessite de grands
investissements financiers. Les banques tirent profit de l’usage industriel et
domestique que l’on fait du gaz. Péa a déjà pris des parts dans la société d’ingénieurs
français et anglais qui ont soumissionné pour l’installation de l’éclairage
public. Cela coûte cher mais la société concessionnaire a vingt années d’exploitation
garantie contre le versement annuel de quatre pour cent d’intérêt. Ces travaux
terminés, on envisage d’entreprendre l’éclairage des particuliers. Pour ce
faire, les ateliers doivent produire des canalisations, des candélabres, des
lanternes, des vannes, des becs et je ne sais quoi encore, c’est pourquoi nos
placements dans les mines de plomb et de cuivre seront certainement d’un bon
rapport. Ils deviendront encore meilleurs si les savants réussissent à capter, et
à discipliner, le fluide électrique. Voilà pourquoi je m’intéresse à ces choses,
parrain !
    Axel, ébahi, découvrait une Alexandra nouvelle, pragmatique,
plus instruite qu’il ne l’imaginait, entreprenante, presque masculine dans sa
façon d’aborder les affaires, de traiter des rapports qu’elle établissait avec
assurance entre les découvertes scientifiques et l’argent nécessaire à la mise
en œuvre de leurs applications.
    Achevant sa visite des lieux, il fut étonné d’y trouver une
table de travail semblable à celle de Laviron. Le seul élément décoratif posé
sur ce meuble austère était un petit bronze de Pradier.
    — Phryné remettant ses voiles. Elle est belle, non ?
dit la jeune fille.
    — Très belle en effet, dit Axel, amusé, en caressant de
l’index ce corps nu d’une parfaite élégance.
    — Si Phryné remet ses voiles, c’est qu’elle les a ôtés !
Sais-tu pourquoi, toi si versé en histoire grecque ?
    — On raconte que cette superbe courtisane, à la fois
maîtresse et modèle de Praxitèle, poursuivie pour impiété, risquait une sévère
condamnation quand son avocat eut l’idée de la dénuder en plein tribunal. Devant
des formes d’une telle perfection, les juges, qui étaient aussi des hommes, renoncèrent
à condamner. Et Phryné, acquittée, remit ses voiles. Voilà ce qui a inspiré M. Pradier
dont le modèle préféré fut longtemps, dit-on, l’actuelle maîtresse de M. Victor
Hugo, l’actrice Juliette Drouet.
    — Si Phryné avait été maigre et laide comme moi, on l’eût
mise en prison, commenta Alexandra avec une moue.
    — Tu n’es ni laide ni maigre, et le barbu qui t’a
offert son bras tout à l’heure avait l’air de te trouver à son goût, dit Axel.
    Puis il enchaîna, considérant la table de travail de sa
filleule :
    — Pourquoi as-tu choisi un tel meuble ? demanda-t-il.
    — C’est la table du grand-père Cottier. Le père de
Manaïs. C’est elle qui me l’a offerte. Difficile de refuser, hein ! Mais
heureusement, le fauteuil de bois était inutilisable, alors j’en ai acheté un, capitonné
de cuir, plus confortable. Essaie-le, dit-elle à son parrain.
    Axel s’assit, fit pivoter le siège, le trouva très accueillant.
Avant qu’il ait pu le quitter, la jeune fille s’était laissée tomber sur ses
genoux et lui passait les bras autour du cou.
    — Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse aujourd’hui.
Entrer à vingt ans dans la banque me ravit. Je sens que je vais apprendre, ici,
des choses qu’on ne peut apprendre ailleurs. Je vais rencontrer des gens
importants, des étrangers, des Français surtout, qui préfèrent placer leurs
économies à Genève plutôt que chez eux, où les riches ne sont jamais
tranquilles. Péa m’a dit que je lui servirai d’interprète, car son allemand est
passable mais son italien détestable et son anglais trop littéraire. Il m’a
aussi promis de m’envoyer les vieux beaux irascibles, pour que je les amadoue !
    Pendant ce verbiage, Axel essayait vainement de se
débarrasser de son agréable fardeau, sans y parvenir. Ce corps souple et nerveux,
dont il percevait la tiédeur à travers la soie de la robe, la fragrance fraîche
et suave dont usait Alexandra, le troublaient.
    — Allons, allons, lève-toi. Si quelqu’un entrait et
nous trouvait ainsi ! Tu n’es plus une fillette que l’on prend sur

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