Romandie
voyaient
reprocher, par certains, une trop grande docilité à l’égard des monarchies
européennes. D’autres, au contraire, les trouvaient trop laxistes et Rodolphe
Topffer, s’efforçant à la mesure et à la lucidité patriotique, publia et fit
répandre à Genève une Petite adresse à mes concitoyens, que Pierre-Antoine
Laviron s’empressa d’envoyer à Axel.
« Genevois, mon ami, ne t’embrouille pas ! Ne te
fais ni Polonais, ni Italien, ni Savoyard, reste Genevois, je t’en prie ; ne
te laisse embrouiller ni par les charlatans ni même par ces braves. Braves sont
à mon sens ces étrangers qui, pour de nobles motifs, donnent leur sang pour une
noble cause. Pour que tu me connaisses, moi qui te parle, je veux la Savoie
libre, l’Italie libre, la Pologne nation, mais je sais qu’à la Suisse et non à
la Savoie, non à l’Italie, non à la Pologne, se rattachent avant tout mon
honneur, ma liberté, mon indépendance ; que sans la Suisse, je n’ai plus
de patrie ; que sans la Suisse, écoute bien ceci, que sans la Suisse, ce
petit canton tombe par terre, et le voisin le ramasse : Louis-Philippe ou
Charles-Albert. Je sais tout cela et je tâche de ne pas m’embrouiller.
» Toi, je trouve que tu t’embrouilles quand, par
intérêt pour la Sainte Cause, tu fais bon marché de la tienne qui n’est pas
moins sainte ; quand tu trouves qu’on devrait laisser faire, sans songer
qu’ensuite c’est à toi qu’on ne laissera rien faire. »
Le 12 mars, le Grand Conseil de Berne refusa, dans un
premier temps, d’expulser les réfugiés qui avaient pris part à l’expédition
avortée contre la Savoie, puis, le 6 mai, il revint sur ce refus, quand la
police bernoise établit qu’un nommé Pisani, carbonaro italien chassé du canton
de Genève, avait fait de sa maison le quartier général des révolutionnaires.
Des voix s’élevèrent cependant pour prendre la défense des
réfugiés et certains bons esprits tentèrent de justifier l’expédition contre la
Savoie en arguant qu’il s’agissait de faire triompher au royaume de Sardaigne
les principes de liberté dont on jouissait ailleurs. À ces considérations, les
autorités vaudoises, soutenues par une grande partie de la population, répondirent
clairement : « Quelque haut prix que nous mettions à ce que les
réfugiés paisibles jouissent du droit d’asile, si conforme aux vœux de la
Suisse, nous devons en revanche veiller, avec tout autant de soin, pour qu’il
ne soit rien entrepris, sur le territoire suisse, par de semblables fugitifs, rien
qui puisse compromettre la tranquillité dans d’autres États ».
Au cours des jours qui suivirent, le Conseil d’État vaudois
reçut 28 pétitions, signées par 2 646 citoyens de Cully, Échallens, Morges,
Yverdon, Mondon, Rolle, Nyon et Lausanne, où les étudiants en droit et en
philosophie s’étaient mobilisés. C’est alors, au grand soulagement de tous, que
le professeur Charles Monnard fit entendre la voix de la sagesse, dans un
rapport dont on proposa la publication [17] :
« La Suisse est un pays entre lequel et les États environnants, la nature
même, appuyée par l’Histoire, a établi des rapports nécessaires, impérieux, non
moins essentiels pour les autres États que pour la Confédération. La Suisse, par
la constitution de son territoire comme par le caractère que le sol a donné aux
habitants, comme aussi par les sentiments nés des souvenirs nationaux, est un
fait qu’on ne dénature pas facilement ; la haute politique et la puissance
matérielle sont forcées de le subir.
» Mais il faut que la Suisse elle-même ait la connaissance
claire et précise de ce fait et qu’elle sache ce qu’elle peut et ce qu’elle
vaut dans le système général de l’Europe. Elle déduira de là sa doctrine politique :
liberté, loyauté, fermeté, union, qu’elle reste fidèle à cette devise, et les
traits des étrangers s’émousseront contre le bouclier qui protège son
indépendance. »
Les esprits finirent par se calmer, les Polonais se
résolurent à passer en France, quelques-uns en Algérie, où l’on manquait de
colons, d’autres, qui s’engagèrent à ne plus fomenter de complots, furent
tolérés dans les cantons de Berne et de Vaud. Un comité central réunit et répartit
les dons que lui faisaient parvenir « des amis de l’humanité » et une
loterie fut instituée, qui vendit en peu de jours dix mille billets à un franc
de Suisse.
À
Weitere Kostenlose Bücher