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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Hiérarchisée comme un régiment, la domesticité en uniforme obéissait à un
état-major de sommeliers allemands et les femmes de chambre, robe noire et col
blanc empesé, prenaient les ordres d’une gouvernante aux façons d’adjudant !
M. Rufenacht donnait cependant, avec une extrême courtoisie, informations
et tarifs. Le dîner, servi à cinq heures à table d’hôtes, coûtait quatre francs,
cinq francs s’il devait être porté dans la chambre.
    Élise qui, au cours de ses voyages avec son père, était
descendue dans de beaux hôtels, en Angleterre notamment, semblait moins
impressionnée qu’Anaïs Laviron par le luxe d’attentions déployées pour les
touristes étrangers, lesquels étaient invités « pour éviter les inconvénients
de l’odeur du tabac dans les chambres », à se rendre, pour fumer leur
cigare, au smoking room, conçu à leur intention.
    Tout en dégustant huîtres d’Ostende, faisans des Alpes et
tourtes à la Vatel, Laviron entretint Axel d’un autre projet, auquel tenaient
depuis longtemps les cabinotiers, les gens de la Fabrique de Genève, et dont on
prévoyait l’achèvement pour 1835. Depuis que le buste de Jean-Jacques Rousseau,
érigé en 1795, sur une colonne à base carrée, au centre du Lycée de la Patrie –
nom donné par les révolutionnaires de l’époque à la promenade des Bastions –,
avait été enlevé par les réactionnaires en 1818, le peuple de Saint-Gervais réclamait
qu’un monument fût élevé à la mémoire du plus célèbre des enfants de Genève.
    Si certains bourgeois libéraux, comme Marc-Antoine
Fazy-Pasteur, cousin de James Fazy, encourageaient depuis 1827 cette initiative,
les conservateurs de la ville haute s’opposaient « à l’érection sur sol
public d’un monument en l’honneur de celui qu’ils considéraient encore comme un
esprit subversif [22]  ».
    Cependant, après que, le 14 juillet 1828, on eut, pour
l’aménagement du quartier des Bergues, démoli la maison prétendument natale de
Jean-Jacques Rousseau, un comité de sept personnalités avait ouvert une souscription
nationale en vue de l’érection d’une statue du philosophe. Le prospectus
invitant les Genevois à souscrire constituait une prise de position politique
puisque les signataires, dont le colonel Dufour et d’autres actionnaires de la
Société des Bergues, exigeaient que « le jour de la justice arrive »,
c’est-à-dire celui où les Genevois prouveraient leur reconnaissance au cher
Jean-Jacques.
    Au grand dam de son épouse et de plusieurs de ses amis, Pierre-Antoine
Laviron manifestait, depuis toujours, une vive admiration pour l’œuvre de
Rousseau. C’est aussi en pensant aux idées autrefois prônées par Anicet, son
défunt fils, qu’il avait souscrit pour l’érection d’une statue du philosophe. Geste
assez inattendu chez un banquier privé, par ailleurs très attaché aux valeurs
traditionnelles respectées dans son milieu. Au dessert, Laviron se pencha vers
Axel, pour ne pas être entendu des autres convives.
    — Mon cher enfant, les choses sont maintenant bien
engagées. La statue en bronze de Rousseau, œuvre de James Pradier, notre
sculpteur genevois installé à Paris, est en cours de fonte, en France, chez
Crozatier. Nous la recevrons avant la fin de l’année. Nous la placerons sur l’île
aux Barques, regardant vers le lac. C’est Dufour, dont la mère, une fervente
admiratrice de Rousseau, a brodé, en 1803, une scène bucolique représentant la
résurrection de Jean-Jacques, à Ermenonville [23] ,
qui a proposé cet emplacement. On y plantera aussi des peupliers, comme ceux
qui entourent le cénotaphe de Rousseau à Ermenonville.
    — Mais pourquoi avoir choisi Pradier, qui s’est fait
naturaliser français, pour sculpter une statue que son élève préféré, John-Etienne
Chaponnière, bon Genevois, eût pu faire tout aussi bien ? Chaponnière
vient d’obtenir à Paris une médaille de statuaire, comme M. Barye, le
sculpteur des lions et des tigres, qu’apprécie tellement M me  de Béran,
observa Anaïs Laviron.
    La femme du banquier admirait fort Chaponnière depuis qu’elle
avait vu, en 1826, sa Jeune Grecque pleurant sur le tombeau de Byron.
    — Chaponnière ne sculptera pas Rousseau, chère amie, mais
nous allons lui confier la statue de Calvin, qui sera érigée dans deux ans, pour
célébrer le tricentenaire de la Réformation [24] , dit Pierre-Antoine.
    Axel estima que dédier

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