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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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catégorique à la demande de Noverraz. Le duc de Reichstadt
serait habilité à recevoir les objets légués par son père quand il aurait
atteint sa majorité, en 1832.
    Noverraz, que rien ne pouvait décourager, se préparait à
retourner à Vienne cette année-là, quand, le 22 juillet 1832, l’Aiglon
avait rejoint son père dans la mort.
    Axel était toujours ému, parfois amusé, par l’intérêt très
nostalgique que Blaise et son ami continuaient à porter à tout ce qui touchait
au souvenir de l’empereur. Au cours de longues conversations, à l’heure où l’on
allume les pipes en sirotant un verre de marc ou de lie, il avait appris de son
père et de Ribeyre l’épopée napoléonienne et leur prodigieuse aventure guerrière.
L’ivresse folle et morbide des batailles, les victoires endeuillées par la mort
d’un seul ami, les déroutes irrépressibles, les embuscades assassines, les
charges désespérées qui changeaient une débâcle en triomphe, le viol des villes
prises comme des femmes, les hauts faits des uns, les dérobades des autres, cent
mille vaincus courbés devant l’aigle d’or aux ailes éployées, les veillées d’armes
au bivouac, l’appel des morts, Larrey amputant des blessés sans descendre de
cheval, les piles de cadavres gelés au bord de la Berezina, les exploits d’un
lancier polonais capable de transpercer d’un même coup un cuirassier et son
cheval, autant de récits qu’Axel goûtait comme chants d’un poème homérique.
    Il aimait entendre les deux amis raconter, l’un
renchérissant sur les propos de l’autre, comment, sous les lambris des châteaux
investis, entre Vénétie et Bohême, du Vorarlberg à la Styrie, ils se désaltéraient
au vin de champagne dans des hanaps de vermeil, abreuvaient leurs chevaux dans
les baignoires armoriées des ducs, puis, enroulés dans les brocarts, s’endormaient
dans les alcôves des favorites ou sur les marches des trônes désertés par les
princes. Et encore, comment, en Italie, ils avaient tiré des religieuses
cloîtrées de leur couvent pour en faire les vivandières que réclamait la troupe.
Aucune n’avait été brutalement déflorée mais aucune, non plus, n’était
retournée à la vie monastique. D’après Ribeyre, les jouissances, privilèges et
profits de la féminité leur avaient été révélés sur les rives du Pô !
    En parcourant l’Europe au galop et sabre au clair, ces
officiers de l’Empire, secs, musclés, nerveux, parce que plus souvent nourris
de lauriers et de proclamations que de chapons fins, avaient écrit en lettres
de sang et de feu, aux sons mêlés du canon et des trompettes, une chronique
épique qui rendrait à jamais jalouses de gloire les générations à venir. Engendrée
dans le dégoût des sanglantes convulsions de 89, jalonnée d’hécatombes, gorgée
de vanités, parée de mille drapeaux pris à l’ennemi, terrassée à Waterloo, absoute
à Sainte-Hélène, la fabuleuse destinée du Corse survivait sur les lèvres des grognards
exilés et des demi-solde, démobilisés par la mort du roi de Rome. Dans le bas
mépris que certains royalistes affichaient pour ces mortes-payes de la Révolution
et de l’Empire, soudards défricheurs qui avaient ouvert, au canon, un chemin de
liberté qu’emprunteraient un jour ou l’autre les peuples purgés de la tyrannie,
entrait une forte part d’envie. Celle que ressentent les couards, les timorés, les
pleutres, devant ceux qui, ayant tout risqué, tout accompli, tout perdu, se
sont assuré, sublimes et misérables, une place dans l’Histoire.
    Au commencement du mois de mars, on apprit à Lausanne et à Vevey
que Marie-Louise, ex-impératrice des Français, veuve de Napoléon, puis veuve du
général Neipperg depuis 1829, venait de se remarier, le 17 février. Le
nouvel époux, le comte Charles de Bombelles, fils d’un émigré français passé au
service de l’Autriche, gentilhomme de la chambre de Louis XVIII, pensionné
par François II, n’était pas un inconnu en Suisse. Il avait laissé assez
de dettes pour que les Bernois se souvinssent de ce petit homme cauteleux, à l’air
ennuyé, qui, cependant, plaisait aux femmes. Les créanciers du chambellan
escomptaient que François II paierait les factures de son nouveau gendre !
    — Souhaitons à Bombelles de mieux résister à cette M me  Putiphar
que le borgne, dit Ribeyre.
    Le bruit courait, en effet, chez les bonapartistes et dans
les milieux diplomatiques, que

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