Romandie
jais, onduleuse,
lustrée et libre, captait l’attention des garçons, les épouses et les mères
répandirent que cette transformation révélait chez la Jenisch l’envie d’un
homme ! Du coup, Zélia décida de ne plus sortir que la nuit, accompagnée
de Lazlo, ce qui aggrava son cas. Pour les Veveysans les moins évolués, toutes
les bohémiennes devenaient des sorcières dans le royaume des ombres. Albert
Duloy, à qui Axel s’ouvrit des obstacles artificiels que les préjugés stupides
des uns, la bêtise et l’ignorance des autres opposaient à l’intégration de
Zélia, se déclara prêt à prendre la jeune femme à son service. C’était le plus
sûr moyen de faire taire les commères dans une ville où le vieux pasteur
donnait, depuis des années, l’exemple de la sagesse, de la tolérance et de la
vertu.
Mais un événement imprévu allait permettre de régler d’autre
manière le sort de l’ancienne suivante d’Adriana et celui d’Alexandra.
Axel Métaz découvrit un matin, en ouvrant son courrier, que
sa femme avait écrit, sans l’en instruire, aux oncles et tantes de sa filleule,
pour les inviter à « remplir envers leur nièce le devoir familial que M. Métaz
avait trop longtemps assumé à leur place ».
L’un des sollicités ayant cru bon d’adresser directement sa
réponse à M. Axel Métaz, entrepreneur à Vevey, fit découvrir la démarche d’Élise.
L’oncle d’Alexandra assurait avoir consulté les autres membres de la famille et
faisait part de leur refus unanime d’accueillir l’orpheline. « N’ayant aucune
part dans le gros héritage des malheureux Ruty, nous ne pouvons assumer l’éducation
d’une fille, sans doute habituée à vivre dans le confort, peut-être le luxe, au
foyer d’un riche vigneron et entrepreneur. Vous l’avez voulu prendre, gardez-la »,
écrivait, acide, le porte-parole.
Ces propos eussent fait sourire Axel s’il n’avait été autant
peiné que contrarié par l’initiative dissimulée et intempestive d’Élise. Depuis
leur mariage, c’était le premier manquement grave de son épouse, dont il n’aurait
pu imaginer pareille conduite.
« Comme elle doit détester Alexandra pour en arriver là »,
pensa-t-il, refrénant sa colère. Après un temps de réflexion, il rejoignit Élise
qui brodait au salon. Sans un mot, il mit la réponse de l’oncle d’Alexandra
sous les yeux de sa femme.
— J’attends une explication, dit-il sèchement, quand
elle eut pris connaissance de la lettre.
Élise pâlit car jamais son mari ne s’était adressé à elle
sur un tel ton.
— Ne m’en veuillez pas, j’ai cru bien faire… pour vous
ôter un souci que je devine. Alexandra n’est plus à l’aise ici, depuis la
naissance de Vincent. Elle l’a même dit à Louis Vuippens, qui me l’a répété.
— Tiens… à Vuippens, vraiment ! fit Axel, incrédule.
Élise se mit à pleurer doucement, ce qui émut son mari, dont
le ton s’adoucit aussitôt.
— Vous auriez pu m’en parler avant d’écrire à ces gens
cupides… et indifférents depuis tant d’années au sort de leur nièce.
— Me pardonnerez-vous jamais ? Je suis si
malheureuse de vous avoir contrarié ! dit M me Métaz, sans
tenter de contenir ses sanglots.
— Séchez vos yeux. J’oublie cet impair. Mais sachez,
Élise, qu’à Rive-Reine je suis le seul à pouvoir décider du sort d’Alexandra, ajouta-t-il,
tendre mais ferme, en caressant les cheveux de sa femme.
Rassurée, M me Métaz tendit ses lèvres, sur
lesquelles Axel cueillit un baiser de réconciliation salé par les larmes.
Une heure après, Axel avait rédigé une lettre destinée aux
Laviron. Anaïs et Pierre-Antoine débordaient d’une affection sincère pour
Alexandra qu’ils avaient, pour Noël, comblée de cadeaux. Lors du repas du
nouvel an à Beauregard, le banquier et sa femme avaient compris, l’un et l’autre,
que la fillette souffrait, sans le dire, du mariage de son parrain, et plus
encore de la venue d’un fils au foyer de celui-ci.
À plusieurs reprises, ils avaient proposé aux Métaz de
prendre Alexandra chez eux, à Genève, afin qu’elle pût suivre les cours de l’École
supérieure de jeunes filles, dont la renommée dépassait les frontières du
canton, et ceux du nouveau conservatoire de musique dont on annonçait l’ouverture
imminente. Alexandra montrait, en effet, des dispositions exceptionnelles pour
le piano et Élise, bonne pianiste, qui avait été
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