Sachso
À l’intérieur : désordre et saleté, des châlits à trois étages, de la paille en vrac avec laquelle nous remplissons paillasses et oreillers pour ceux qui vont nous rejoindre. Pendant trois jours, nous rangeons et nettoyons. Ensuite, nous plantons des piquets, fixons d’autres barbelés, établissons un chemin de ronde protégé par des chevaux de frise. Au-delà, il y a un baraquement réservé aux S. S. ; nous en commençons un autre en briques. Le commandant S. S. du camp, surnommé “le Canard”, est constamment sur notre dos. Coups et hurlements se succèdent. Il faut toujours se presser. »
Le 27 mai après-midi descendent en gare de Kustrin les renforts attendus, qui vont constituer le kommando proprement dit. Il y a cent quatre-vingts Français, (tous des 64 000 – 66 000) une quinzaine de Belges, Polonais, Tchèques, Russes et une douzaine de Vorarbeiter allemands. Ankylosés par plusieurs heures de voyage, ils se dégourdissent vite les jambes sur la route où les poussent les S. S. Bientôt ils aperçoivent un pont roulant, des trains entiers de rondins, des péniches chargées de bois et des rangées innombrables de résineux. La Zellwolle Zellulose Werk les avale à leur tour.
Ils prennent possession de leur camp ; deux grands baraquements et plusieurs autres plus petits qu’ils partagent avec ceux qui les ont précédés. Dès le lendemain, les kommandos de travail sont formés. Le terrassement est prioritaire : il faut agrandir l’usine qui doit, par la suite, produire une levure alimentaire tirée du bois.
Les journées de travail dépassent douze heures, avec un rythme harassant, une nourriture insuffisante et mal répartie. Maurice Poyard a bien des difficultés pour se déplacer dans le sable, où l’on s’enfonce jusqu’aux chevilles, mais de son chantier il peut voir au loin, derrière les barbelés, des vaches paître, des enfants jouer. C’est comme une bouffée d’air pur qui le revigore.
Le soir n’est pas forcément le moment du repos. Souvent, après la rentrée au camp ou après le modeste repas, des groupes sont désignés au petit bonheur pour décharger péniches et trains de bois. Norbert Ferraguti n’y échappe pas :
« Il faut faire vite. Immobiliser trop longtemps les transports est du sabotage, mais cela ne nous empêche pas de garnir de sable et d’urine les boîtes à graisse des wagons.
« Le dimanche après-midi est la seule pause officiellement accordée. Nous la consacrons à la lutte contre les punaises et les puces. Lavage au chlore, savon noir, pétrole et brûlage des joints de lit viennent à bout des premières. Quant aux secondes, il en reste toujours malgré les produits que nous rapporte en cachette le kommando des spécialistes travaillant à l’intérieur de l’usine. »
En juillet 1943, Jean Remlinger met à profit l’arrêt de travail d’un dimanche midi, pour tenter de s’évader. Sa disparition est découverte lors du regroupement du kommando 3, le sien. Pendant que les S. S. le pourchassent, l’appel se prolonge plusieurs heures. Dans les rangs, on entend ceux qui redoutent des représailles et quelques-uns qui ne pensent qu’au retard du repas. Finalement, Jean Remlinger est repris, battu, puni. Mais il s’en tire… et c’est peu après que la situation s’améliore pour tout le monde, dans le kommando.
Le départ du « Canard », son remplacement par un Lagerführer S. S. moins dur, la forte concentration des Français, qui atteint deux cent cinquante sur un effectif total de trois cent dix détenus, et la bonne volonté de chacun permettent une meilleure organisation de la vie au camp.
Trois chefs de block français parlant allemand sont désignés. Deux Français, Henri Falkowitz, de Paris, et un Alsacien entrent aux cuisines. Une répartition de la nourriture, un roulement pour les corvées sont établis. Les étrangers, particulièrement les Tchèques, les Polonais, les Russes, s’intègrent au groupe des Français qui a rallié dès le début les Belges, tous francophones, rejoints ensuite par quarante autres Belges transférés d’un camp de Hollande.
Si les Français jouissent d’une autorité incontestable à Kustrin, ils ne le doivent pas seulement à leur nombre mais aussi au courage, à l’esprit de résistance et de solidarité qui animent la quasi-totalité d’entre-eux. Déjà, du temps du « Canard », une manifestation en a donné la preuve et Antoine Sroka aime la
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