Sachso
discours et m’injurier tant qu’il peut, je pense à tout autre chose ; avec un grand calme et un suave sourire, je lui réponds : ‘‘Nicht verstehen, monsieur”…
« Parfois, il est désarmé, croit que je suis folle ou idiote, car rien ne me fait départir d’un calme angélique, la seule arme qui me reste. Il est bien plus méchant qu’intelligent et n’a jamais compris combien peut être maladroite une fille pas trop bête qui tient à ne pas travailler pour les Allemands. Tout ce qu’il peut faire, c’est de me faire réinstaller la bobine et défaire entièrement la machine, ce qui n’augmente pas le rendement…
« Rien n’est plus facile non plus que de mettre trois ou quatre fois la même bobine sur l’appareil. De loin on voit mes mouvements, la petite lampe allumée : j’ai l’air d’une ouvrière zélée… Et, par ces truchements, la grève perlée se poursuit… »
Les bombardements à répétition perturbent la production et la vie des détenues. Bientôt Renée Dray apprend à distinguer les raids alliés : « Lorsque les bombardements se font en piqué, généralement de nuit, nous savons que ce sont les Anglais. Durant les huit mois passés à Gartenfeld, rares sont les jours et les nuits sans alerte. Si bien qu’à des moments nous souffrons plus du manque de sommeil que de la faim. »
Contrairement aux espérances de beaucoup, Noël n’apporte aucune atténuation dans le régime sévère du kommando.
Des promesses ont pourtant été faites par les Allemands à l’usine et au camp, mais le 24 décembre 1944 Catherine Ammar n’y croit guère : « Le travail dure toute la journée, les distributions n’arrivent pas. En fait de surprise pour Noël, nous sommes mises entièrement nues et fouillées comme nous ne l’avons jamais été.
« Nous parvenons à dissimuler tous nos trésors : mon journal, les décors en carton pour les chants religieux et surtout les cigarettes volées aux S. S. sous leurs yeux par d’astucieuses camarades… »
Un geste de solidarité éclaire toutefois ces heures sombres. Chaque Française reçoit des Français du kommando voisin, à l’initiative de René Petitjean, une paire de minuscules sabots de Noël patiemment sculptés.
Les bombes, qui depuis si longtemps pleuvent aux alentours, se rapprochent de Siemensstadt.
Le 28 mars 1945, le secteur est la cible d’un raid américain massif. L’usine est détruite, les camps annexes aussi. À Gartenfeld, le Revier flambe, abandonné par les gardes. Jacqueline Ballenecker, « Mimi » Jouanneau, Denise Guérin, Monique dite « Farfadet » arrachent des malades au feu. Renée Dray voit les blocks brûler : « Des déportées sont tuées, mais pas de Françaises parmi les victimes. Nous sortons vite du camp. Nous sommes sur la place de Gartenfeld lorsqu’une deuxième vague de bombardiers apparaît. C’est seulement ensuite que la commandante du camp et les S. S. encore valides nous regroupent et nous dirigent vers un ancien camp de prisonniers de guerre, atteint après une longue marche le long de la Spree, sur un chemin de halage.
« Nous sommes entassés dans une baraque, les femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Pendant plusieurs jours, c’est une vie démente : pas d’ordre, une vraie pagaille ! Puis, il y a un appel. Avec une vingtaine de femmes, je suis emmenée au kommando de Spandau. On nous parque dans une espèce de hangar, un ancien hall de gare où sont entassées des juives hongroises.
« Les moments passés là sont les plus atroces de ma déportation. Ces femmes sont dans un état abominable. Elles sont atteintes du typhus, la dysenterie est générale. Elles n’ont pas le temps d’aller aux latrines : c’est partout maculé. Et nous qui restons sans couverture, sans rien, rien du tout… Enfin, sans savoir pourquoi, on vient nous rechercher pour nous reconduire à l’ancien camp de P. G., où nous retrouvons avec joie nos camarades de Siemens. »
Adlerhof est le nom de ce petit camp à quelques kilomètres de Siemensstadt, rempli à craquer par les mille femmes du kommando Siemens et quelque deux mille cinq cents autres prisonniers et sinistrés. Catherine Ammar est poussée dans un bâtiment sans lit et sans paille : « Chaque pièce contient environ soixante-dix prisonnières qui ne peuvent tenir que debout…
« Les détenues envahissent tout : les lavabos, les couloirs, même les abris… Mais elles sont chassées à
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