Sachso
quarante-cinq ans qui défilons, véritable bétail humain, passant et repassant devant nos négriers fort affairés à nous bien choisir. Ils ont la tête de l’emploi, lourdes brutes hébétées, nourries de Mein Kampf, gonflées d’importance et qui transpirent sous le soleil de midi, quand la brise a chassé les nuages…
« Nous sommes debout, toujours, chacune de nous pensant avec désespoir aux efforts passés. Chacune de nous a caché des armes, saboté du travail, écrit, imprimé ou diffusé des journaux, ravitaillé le maquis ou fabriqué des fausses cartes. Toutes nous n’avons eu qu’un but : la Résistance. Pour les Françaises réunies là, le triangle rouge qui accompagne le numéro rappelle que toutes, directement ou indirectement, nous avons lutté contre le travail obligatoire, cet esclavage que les Allemands ont inauguré dans les pays conquis. Et tant d’énergie, d’intelligence, de courage à l’ennemi aboutissent là… au bureau de recrutement, au travail pour les bourreaux, au travail qui fait durer la guerre… »
Pas d’échappatoire à ce destin. Aucune Française n’est affectée à l’infirmerie ou aux cuisines, places de choix réservées à des condamnées de droit commun. À l’exception de trois d’entre elles désignées parmi les plus âgées pour le nettoyage des blocks, toutes sont réparties entre trois Werk-Kommandos (kommandos d’usine) : les KW 4, KW 5 et KW 8.
Gartenfeld est un petit camp de quatre baraques regroupées en deux blocks tout neufs, car un bombardement a détruit les premières installations. Avec les prisonniers de guerre français et italiens de plusieurs camps du voisinage, ces détenues travaillent dans Siemensstadt, une immense câblerie de la société Siemens qui emploie également des déportés hommes de Sachsenhausen, lesquels ont leur propre kommando séparé de celui des femmes par des barbelés. Les contacts sont très difficiles entre déportés hommes et femmes d’une part, entre déportés et P. G. d’autre part. Il s’en établit cependant, malgré la surveillance impitoyable des gardiens et des gardiennes S. S.
Les liaisons entre les Françaises et les Français des kommandos Siemens de Sachsenhausen se font au cours du trajet de Gartenfeld à l’usine. Les femmes partant toujours les premières, un trio de Français prend l’habitude de se placer en tête du groupe des hommes qui suit. René Petitjean, Auguste Monjauvis et René Maquenhen, déportés ensemble à Auschwitz en juillet 1942 et transférés à Sachsenhausen en août 1944, peuvent ainsi se rapprocher des derniers rangs des femmes, où des Françaises alertées, traînent le pas. « De cette manière, nous arrivons à nous parler, à nous passer des renseignements sur les événements en cours », rapporte René Petitjean qui a, entre autres interlocutrices, Renée Dray, de Marseille, et plusieurs de ses amies : Annie Hervé, qui se cache sous le faux nom de Annie Lechevalier et dont il a connu le mari avant guerre, Lucienne Boué-Tournon, Marguerite Metayer, M me Hyvrard et sa fille (de Savoie), Simone Viel et sa mère (d’Alençon), etc.
Renée Dray travaille au KW 5, dans un atelier de bobinage où il n’y a que six Françaises. Catherine Ammar est au KW 4 avec Georgette Fradin, Denise Bachelier-Proust, Monique Lagorce, dite « Farfadet », Blanche, une Parisienne, etc. Les unes et les autres s’ingénient à en faire le moins possible. En octobre 1944, Catherine Ammar a déjà été changée trois fois de machine. Celle qu’elle a maintenant est assez compliquée. « On y amarre une bobine, on fait passer le fil dans un bain d’électrolyse et ensuite dans différents engrenages. Un geste de la main et le fil se déroule pendant qu’un compteur mesure les mètres. L’expérience se fait sur vingt-cinq ou cent mètres. Un autre geste et le courant électrique passe. Si tout va bien, la petite lampe-témoin ne s’allume pas. Si la laque qui isole le fil est mauvaise, le courant passe et la lampe s’allume. Un compteur mesure ainsi les “manques”. Après chaque bobine, je marque le nombre indiqué au compteur. Si pour vingt-cinq mètres il y a plus de vingt-cinq “manques”, la bobine est schlecht (mauvaise). Sinon, elle est gut…
« Ma maladresse commence à être légendaire. Parfois, le contremaître crie et cela me met en joie.
« Je ne comprends pas un mot d’allemand et le beau Max peut bien me faire de grands
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