Sachso
Max Wajskop, de Paris, typographe ; Roger Weil, de Strasbourg, photograveur. Tous trois viennent d’Auschwitz, où les recruteurs S. S. de la fausse-monnaie de Sachsenhausen procèdent à plusieurs sélections de dessinateurs et de professionnels de l’imprimerie. Car on ne fabrique pas que de faux dollars et de fausses livres sterling au block 18. Roger Weil, par exemple, va de surprise en surprise : « Nous sortons de faux papiers militaires anglais et américains, de faux documents de tous ordres, jusqu’à de fausses polices d’assurance de la compagnie française “L’Abeille” ! »
L’idée de cette monumentale entreprise de contrefaçon a germé dès novembre 1939 dans l’esprit de Reinhardt Heydrich, chef du S. D. (Sicherheits Dienst) la Sécurité centrale du Reich. Il confie l’opération « fausses livres sterling », baptisée « opération Andréa », à deux des meilleurs agents secrets de Himmler : Alfred Naujoks (qui s’est déjà illustré dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale par la provocation de Gleiwitz montée avec des cadavres de détenus de Sachsenhausen) et le capitaine S. S. Bernhard Krüger. Le premier atelier ultra-secret est installé au 5 de la Delbruckstrasse à Berlin, la papeterie de Spechthausen. En mai 1941, les faux billets voient le jour, après maints essais infructueux. Des experts suisses sollicités à leur insu confirment l’authenticité des coupures et la Banque d’Angleterre à laquelle ils s’adressent les assurent que les numéros des séries, les dates d’émission, les signatures sont bien conformes. Pourtant, au début de 1942, tout est stoppé à la Spechthausen ; des informations ont filtré à l’extérieur et sont parvenues à la Gestapo. L’équipe des faussaires appartenant aux services secrets est dispersée. Himmler décide de transférer le centre d’impression à l’intérieur du camp de concentration d’Oranienburg-Sachsenhausen, où il sera doublement isolé. Sous la responsabilité de Bernhard Krüger, il y fonctionnera dans le plus grand secret avec des spécialistes recrutés parmi les détenus de divers camps. C’est « l’opération Bernhard », qui prend le relais de « l’opération Andréa ».
Avec Salomon Smolianoff, un Russe blanc qui vivait avant guerre à Berlin de ses talents de copieur d’œuvres de maîtres dans les musées (et se retrouvera à Mauthausen pour avoir étendu sa production à celle précisément de faux billets), avec le dessinateur allemand Léo Haas, dont le docteur Mengele qui l’employait à Auschwitz disait qu’il pouvait dessiner une chevelure dans tous ses détails, avec bien d’autres « verts » ou « rouges », le kommando des faux-monnayeurs de Sachsenhausen se met au travail. Il y a bien des loupés, des retards dus aux freinages des antifascistes les plus conscients, mais dans les conditions imposées par les S. S. la machine fonctionne. On évaluera à 150 millions de livres sterling le montant des faux billets anglais imprimés à Sachsenhausen !
En février 1945, l’approche des armées soviétiques met fin à près de deux années d’activité de « la Fausse Monnaie ». Les machines sont démontées, mises en caisses. Des détenus commencent à discuter avec leurs gardiens S. S., qui sont pour la plupart des amputés et mutilés de guerre. Ils expliquent que leur sort est désormais lié en tant que « porteurs de secrets » et qu’ils doivent faire échec ensemble à une éventuelle liquidation. À la fin du mois, détenus, gardiens et machines quittent le camp à bord de camions. Après cinq jours de voyage ils arrivent le 2 mars à Mauthausen.
L’équipe des faux-monnayeurs est logée au block 20, celui des condamnés à mort. Les hommes s’inquiètent mais, comme le matériel les accompagne et qu’il serait inutile sans eux, ils reprennent espoir. Un nouveau déménagement les conduit au kommando de Redl-Zipf, où les machines sont remontées et la fabrication reprise. Puis c’est le dernier voyage jusqu’au camp d’Ebensee où, dans une des nombreuses galeries souterraines creusées par les déportés du camp, les presses sont entreposées.
Le 16 avril 1945, trois camions avec remorques emmènent les planches à billets, les coupures imprimées. Les anciens des blocks 18 et 19 de Sachsenhausen, après avoir reçu l’ordre de détruire le matériel, se préparent à défendre chèrement leur peau… mais c’est la
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