Sachso
quand ils veulent s’adjoindre des soldats levés sous la contrainte, ils connaissent de nombreux déboires.
En octobre 1943, trois cents S. S. Croates entrent à Sachsenhausen sous bonne escorte, sans ceinturons, pattes d’épaule arrachées. Ils arrivent de France, de la région de Villefranche-de-Rouergue, où ils se sont mutinés à un millier. Sept cents sont déjà morts et ceux-là ne vont pas survivre longtemps.
Comble de l’impuissance des nazis en ce domaine, c’est du plus petit pays sous leur botte, le Luxembourg, qu’ils reçoivent le camouflet le plus cinglant. Des gendarmes et policiers luxembourgeois, qu’ils veulent obliger à combattre avec eux, refusent et résistent : en 1941 et 1942, dans deux pelotons expédiés en Yougoslavie ; en 1942, quand on force ceux demeurés au Luxembourg à signer un « engagement volontaire ». Plusieurs dizaines sont internés dans des camps de concentration. À Sachsenhausen, en septembre 1944, dix-neuf sont sommés une nouvelle fois de s’incorporer aux S. S. Ils redisent « non » . En novembre, on les envoie à l’école S. S. de Dresde, ils ne cèdent pas ; ramenés au camp, ils sont versés à la Strafkompanie et promis au Sonderbehandlung (traitement spécial), c’est-à-dire à l’exécution. Dans la nuit du 1 er au 2 février 1945, ils sont conduits, menottes aux poignets, vers la cour du crématoire. Dans un ultime sursaut, ils se révoltent. Victor Reuland, de Dudelange, arrache son revolver à un S. S. et l’abat. Il est exécuté immédiatement sur place avec trois de ses compagnons. Les quinze autres sont mis à mort quelques instants plus tard.
FAUX-MONNAYEURS ET VRAIS COBAYES
D’autres catégories peu courantes de détenus sont recherchées par les S. S. dans les divers camps à partir de 1942 : artistes peintres spécialisés dans la reproduction ou la restauration de tableaux, graveurs et photograveurs, clicheurs et imprimeurs. Beaucoup sont juifs, mais cette fois personne ne s’en soucie dans la hiérarchie nazie. Ils sont cent quarante et quelque, dont une quarantaine de Sachsenhausen, et c’est à Sachsenhausen qu’ils sont tous regroupés dans deux blocks, le 18 et le 19, qui prennent dès lors une allure mystérieuse.
Ces deux baraques sont littéralement mises en cage à l’intérieur du camp. Non seulement des barbelés les entourent mais leur trame serrée, portée par des arceaux, recouvre aussi les toits et la ruelle entre les blocks 18 et 19 où, de temps en temps, on voit de loin les prisonniers prendre l’air, car il est interdit de s’approcher à moins de cinquante mètres de la clôture qui les isole. Ils ne sortent jamais à l’extérieur, sauf pour aller aux douches et lorsque certains ont besoin d’être soignés au Revier. Ils ne se rendent pas à l’appel sur la place et sont constamment sous la surveillance de quatorze S. S. qui, fait exceptionnel, logent et couchent avec eux.
Ces deux blocks, aux vitres des fenêtres et des portes passées à la chaux pour mieux dissimuler leurs secrets, sont d’abord connus dans le camp sous le nom de « l’imprimerie » . Le block 19 sert de dortoir et de réfectoire aux hommes qui travaillent en deux équipes douze heures d’affilée sur les machines et les presses installées dans le block 18. C’est leur bruit caractéristique, la nuit, qui a renseigné les détenus à l’affût. Mais qu’y imprime-t-on ? Le mystère est entier durant près de deux ans.
Lots de sa quarantaine, au début de 1943, Charles Deléglise est l’un des Français qui s’approche le plus près de « l’imprimerie » : « Plusieurs fois, je fais partie de l’équipe qui apporte de la cuisine les bouteillons de soupe destinés aux 18 et 19, les “blocks interdits”. Nous devons laisser ces bouteillons à l’entrée et c’est un S. S. de “l’imprimerie” avec deux détenus “imprimeurs” qui les rentrent. Pas question d’échanger un mot. »
Il faut attendre l’été 1944 pour apprendre que « l’imprimerie » fabrique à la chaîne des fausses livres sterling et des faux dollars pour la guerre secrète que mènent les espions nazis dans le monde entier. Du coup, les blocks 18 et 19 entrent dans l’histoire du camp sous l’appellation de « la Fausse Monnaie ».
Sur la fin, trois Français font partie du kommando des faux-monnayeurs de Sachsenhausen : Jean Lenthal, de Paris, restaurateur de tableaux au Musée du Louvre ;
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