Sachso
fourmillent d’erreurs dans les quantités, les références de pièces ne tiennent pas compte des modifications intervenues…
Quant à l’efficacité des dessinateurs, elle est encore ralentie par des travaux annexes. Au bureau d’outillage B. M. K., les Français ont toujours l’air très occupés, à l’abri de leurs tables à dessin derrière lesquelles ils se dandinent debout, tapant des pieds et remuant les épaules pour activer la circulation. Le bureau étant plus ou moins chauffé, ils ont donné d’un commun accord leurs manteaux rayés aux Français du Baukommando qui travaillent sous les intempéries. Tapi dans une cage vitrée, un civil (planqué de la Gestapo) les surveille, parfaitement ignare mais satisfait de voir ces crânes rasés courbés sur leur labeur. Il n’y a que le Vorarbeiter Horst Lehmann, un « rouge » allemand qui était ingénieur chez Zeiss à Dresde, à ne pas être dupe. René Cogrel sculpte de magnifiques pièces d’échec en plexiglass et en ébonite subtilisée au magasin. L’ingénieur Alphonse Lavieville, ex-chef du bureau d’étude de l’usine Potez, tricote des chaussettes et réfléchit à des conseils de sabotages astucieux. Les architectes André Louis et René Bourdon, arrêtés dans la même affaire, parlent de leur réseau Confrérie-Notre-Dame ou de l’urbanisme d’après la victoire, le polytechnicien Clément Jacquiot, sur des liasses de vieux plans, reconstitue des cours de mathématiques supérieures qu’il dispense à des étudiants comme Jean Marx durant les interminables appels. Charles Désirat, ancien dessinateur à la ville de Paris, étudie l’allemand ou élabore le bulletin quotidien des Français, pendant que Léo Agogué ouvre l’œil…
Une « activité » du même ordre règne dans les autres bureaux de dessin, soit au hall 3, soit au hall 6 où opère Claude Bottiau, de Vannes. Ainsi le travail est-il bien préparé pour les opérations qui se succèdent du hall 2 au hall 8.
Au hall 2 sont les presses et une partie de la fabrication d’outillage. Former, découper, souder, mais pour qui et pour quoi ? Alex Le Bihan explique :
« À notre arrivée chez Heinkel, on mange parfois après quatre ou cinq camarades dans la même gamelle. Un Franc-Comtois, qui travaille au repoussage, fabrique alors des quantités de gamelles et d’assiettes en aluminium après avoir confectionné les moules au tour parallèle. Ses durs efforts lui valent quelques litres de soupe bien gagnés de la part de notre chef de block, satisfait d’augmenter son matériel, quelle qu’en soit l’origine. Voilà l’équipe lancée dans la quincaillerie. On fabrique également des cuillères, fourchettes, couteaux, ouvre-boîtes, puis des pipes, fume-cigarettes avec des bagues tricolores, bleu-blanc-rouge pour les Français, des tabatières, etc. Felipe Noguerol et Roger Guérin se spécialisent dans les brosses à dents. Des plaques diverses sont gravées artistiquement par Guy Bernard, de Brest. Pour les civils, la “perruque” produit des casseroles, bouilloires, seaux, récipients divers, pelles à tartes, etc., qu’ils sortent à la faveur des alertes. Ce travail (sabotage !) est parfois payé par eux en casse-croûtes. C’est en principe l’équipe de nuit qui fait la plus grande part de ces travaux. Les frères Corzani, du magasin des tôles fournissent le métal. Au magasin d’outillage, Pierre Renaudet se dépense. Nous allons à tour de rôle lui demander des forets que nous cassons au plus vite et faisons disparaître dans les poubelles.
En quelques mois, nous en avons détruit des milliers, si bien que je dis à un camarade : “Ma parole ils en ont une mine !”
« Mais il faut bien finir par travailler. Sur les machines à redresser les structures, on bloque à plusieurs reprises les mâchoires en y mettant trop de pression, les mordaches de protection se polissent et n’agrippent plus le métal. La machine doit s’arrêter, faute de pièces de rechange. Quant aux lames de scies à ruban, leurs multiples brasures ne les rendent pas plus solides. »
Gaston Naud, avec Maurice Bonneau, de Chateauroux, « lance » les fabrications à la kolonne 8 : « Selon les plans et les matrices correspondantes, nous devons fournir au contrôle deux pièces terminées, cinq pièces découpées mais non formées et le gabarit de découpage de ces tôles. Si le contrôle est bon, on passe alors au découpage en série et à la
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