Sachso
fabrication selon le planning de l’usine.
« C’est alors que quelques “modifications” interviennent et qu’à la fin de la série un drame éclate entre le chef d’équipe et le contrôleur, tous deux civils : les pièces ne sont plus conformes aux plans. Après plusieurs séries refusées, ils se retournent vers nous, nous accusant de sabotage. Sous leurs yeux, nous refaisons deux pièces, deux bonnes pièces ! Parce qu’il a déjà envoyé au rebut vingt mille pièces trop petites, le chef d’atelier exige que nous agrandissions les gabarits de découpage. Et ça repart ! Les nouvelles pièces sont maintenant acceptées par notre contrôleur, mais elles seront pratiquement inutilisables ensuite… »
Corentin Le Berre résume d’autres « anomalies » constatées dans ce hall : « Les matrices de presse ont tendance à s’ouvrir sans raison apparente car les outilleurs rétrécissent les ouvertures d’éjection. Au magasin des tôles, l’équipe des quatre frères Corzani, d’Auboué, font des “rangements” très spéciaux. Dès leur réception, les tôles de dural sont soigneusement ondoyées à l’eau salée (gros sel fourni par les cuistots français), puis sont empilées bien serrées les unes contre les autres. Au moment de l’utilisation, rongées par le sel, elles vont grossir les rebuts. C’est mis sur le compte du mauvais travail de l’usine productrice ou sur les aléas du transport. »
Louis Morel est chargé, avec un Ukrainien et un Norvégien, de souder l’armature du nez de l’appareil : « Comme ce travail ne demande vraiment pas de temps, nous faisons fondre le métal en plusieurs points… qu’il faut reboucher… ce qui donne des surépaisseurs longues à meuler… Ça dure un bout de temps, jusqu’à ce qu’un groupe furieux nous tombe sur le dos. Il y a le Hallenleiter, deux officiers S. S., le Vorarbeiter et les deux civils responsables à la soudure. Ils cherchent, disent-ils, celui qui sabote la soudure et qui sera pendu. Ils nous mettent à l’épreuve à tour de rôle, en commençant par l’Ukrainien, qu’ils haïssent le plus. Il exécute parfaitement sa soudure. C’est mon tour, j’ai le cœur serré mais je m’en tire quand même. Le dernier est le Norvégien nommé Leif, commerçant en gros dans le civil. Déjà troublé, il s’affole de plus en plus et perce le métal en plusieurs endroits. Heureusement qu’il est Norvégien, il s’en tire avec une engueulade.
« Il nous faut maintenant changer de méthode. Nous nous en prenons à la pâte à décaper dont il faut enduire les parties à réunir ainsi que la baguette de soudure. Cette pâte s’obtient en délayant une poudre blanche gardée dans un grand bocal de verre et parcimonieusement distribuée par nos deux civils. En un an, feignant la maladresse, je laisse tomber trois grands bocaux, rendant la poudre inutilisable, ce qui me vaut des coups de gueule des civils, dont un est particulièrement mauvais. Un Parisien du 13 e , Victor Gayet, que nous appelons Toto, pensant que même nos poux doivent participer à la Résistance, décide de nous débarrasser de ce nazi, au moins pour quelques jours. Il s’agit de récolter des poux et des morpions. Nous n’en manquons pas ! Puis, à tour de rôle, pendant qu’il examine attentivement nos soudures, nous posons délicatement nos petits cadeaux sur le col de son bleu. Dès le lendemain, il s’absente huit jours. À son retour, il nous rassemble et nous fait un discours sur la propreté et le danger mortel de la vermine. »
Il existe heureusement d’autres civils que ceux de cet acabit et le hall 2 en recèle quelques-uns dont les Français gardent un souvenir ému et reconnaissant. Alex Le Bihan relate comment le produit de centaines d’heures de travail est détruit en une matinée, au nez et à la barbe des S. S., par deux Allemands (un détenu politique et un civil) en accord avec quelques détenus français :
« Un dimanche matin, avec mon Vorarbeiter Walter Hilger, un communiste arrêté en 1934, et Willy Pabst, le chef d’équipe civil, nous effectuons notre plus gros sabotage. Des pièces entièrement finies sont prêtes à partir au montage dans un autre hall. Mes deux compères font le guet et moi, à la scie à ruban, je découpe les pièces en plusieurs morceaux, qu’un autre camarade transporte immédiatement dans un chariot jusqu’aux rebuts enfouis dans de grands containers. Ni vu ni connu ! Car le
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