Sachso
nous n’avons pas la force de porter, nous faisons des traîneaux, car vingt centimètres de neige recouvrent le sol. Les rescapés sont alignés dans un hangar, mais c’est pour y être exterminés par piqûre… »
Entre autres crimes, les S. S. liquident de la même manière expéditive les malades qui s’entassent dans une annexe du Revier de Heinkel, face au hall 3. Cette nuit-là, vers 22 heures, Robert Desauge, un Tourangeau du hall, est intrigué par un remue-ménage inhabituel à l’extérieur : « Des détenus du Baukommando sont attelés à une remorque chargée d’hommes nus. Une deuxième suit et, parmi ceux qui la tirent, je reconnais un camarade de Tours. Je l’appelle discrètement, car les S. S. avec leurs chiens surveillent l’opération. Il me fait signe de rester caché et m’indique qu’il me verra le lendemain.
« Au matin, nous constatons que l’annexe du Revier est pratiquement vide. René Dussossoy, qui s’y trouvait hospitalisé, est de retour parmi nous, encore malade, affolé, traumatisé. Il me dit : “Cette nuit, nous avons dû monter nus dans des remorques. J’étais de la dernière fournée mais, conduits jusqu’au garage, l’ordre a été donné de faire demi-tour. Ceux qui étaient partis avant nous ne sont pas revenus. J’ai compris qu’ils avaient été exterminés.” C’est pourquoi René Dussossoy a préféré quitter le Revier.
« Dans la journée, je retrouve mon camarade de Tours qui, horrifié, me raconte à son tour les événements de la nuit. À l’entrée du garage, deux S. S. se saisissaient des malades et leur faisaient une piqûre. Les hommes hurlaient quelque temps, mouraient et étaient jetés sur le tas de cadavres qui se trouvait à l’intérieur. »
Par pleins camions, sous des bâches, les corps des victimes sont, pour la plupart, conduits aux crématoires de Sachsenhausen. Ni immatriculés ni comptabilisés, combien sont disparus ainsi, anonymement ? D’ailleurs, le hall 8 ne suffit plus aux S. S. D’autres blocks du kommando Heinkel servent de transit vers la mort.
En février 1945, les déportés qui restent du kommando de Trebnitz, évacué devant l’offensive soviétique, passent deux jours dans deux blocks de briques jaunes, près du hall 4. Alex Le Bihan, un ancien de Heinkel, retrouve ainsi quatre de ses camarades : un cheminot, presque son homonyme, Alfred Le Bihan, dont une plaque perpétue le nom en gare de Bois-Colombes, Louis Pastol, des Côtes-du-Nord, Pierre Karel, un instituteur de la région parisienne, et Marcel Delsol, un métallurgiste de Paris, le seul des quatre qui reverra la France à la libération.
Toujours en février 1945, mais à Sachsenhausen cette fois, entre un convoi en provenance de Ravensbruck où André Cardot portait le matricule 10 223 : « Dès notre arrivée, nous devons nous aligner sur la place d’appel du camp. Sous la pluie mêlée de neige, nous attendons durant trois heures et demie la venue du commandant. Il inspecte lui-même nos rangs, désigne du doigt ceux qu’il met à part. Maintenant il est devant moi, me dévisage pendant un long moment qui me semble interminable. Je soutiens son regard et j’ai la nette impression que ma vie se joue en cet instant. Enfin il se détourne : ce n’est pas mon heure… Ceux qu’il a désignés nous quittent et nous saurons plus tard qu’ils ont été dirigés directement vers les fours crématoires. »
C’est le temps redoutable des liquidations de masse. La cour de l’Industriehof est rouge du sang des fusillés : cent soixante-dix-huit pour la seule nuit du 1 er au 2 février, cent soixante-dix-huit dont les matricules sont appelés, dans les ténèbres des dortoirs, par des S. S. surexcités. Au matin, Robert Forbault, du block 64, apprend que deux de ses camarades luxembourgeois sont au nombre des victimes. Parmi les « porteurs de secrets » et « ennemis dangereux du Reich » assassinés au cours de cette nuit de terreur se trouve un Français resté inconnu : détenu un moment au block 38 il semblerait que ce soit un instituteur de la région parisienne. Le 4 février, quarante-cinq prêtres et pasteurs de Sachsenhausen, dont les abbés Dupont et Hartemann, sont envoyés à Bergen-Belsen ?
Pourquoi cette frénésie meurtrière des S. S. ? Parce qu’ils en ont reçu l’ordre, parce que les dirigeants nazis ont un plan d’extermination précis des détenus de Sachsenhausen qu’ils commencent
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