Sachso
saucisson au bout d’une ficelle. C’est fini. Un assassinat de plus vient d’être commis. Vingt mille hommes défilent maintenant tête nue au pas cadencé devant la potence… »
Chacun doit fixer la victime que l’on emportera tout à l’heure dans une caisse noire munie de brancards qui attend au pied du gibet. Des matraqueurs sont là pour rappeler de quel côté il faut regarder. Si la pendaison a lieu un samedi, elle s’effectue en musique avec l’orchestre du camp.
Le docteur Leboucher assiste à deux exécutions particulièrement dramatiques : « Un soir, le condamné que j’avais vu passer devant moi, le col de sa chemise blanche largement échancré, arrive au gibet, monte sur la planche, crie “Au revoir” aux camarades, prend la corde lui-même et au moment d’y engager la tête, il envoie un gros crachat dans la direction du Lagerführer qui reçoit l’insulte en plein visage.
« Une autre fois, la corde casse, le pendu tombe à terre et se débat au sol. Le Lagerführer sort son revolver, transperce le crâne du supplicié, qui cesse ses contorsions ; et lorsque le bandit galonné remet son revolver dans l’étui, nous l’entendons prononcer en français ce mot qu’il salit et qui accentue le grotesque de sa réaction : “Ah, merde alors !” »
« Le Lagerführer avait un physique d’hydrocéphale ; on ne lui connut jamais de casquette proportionnée à la grosseur de sa tête. »
La coutume, selon laquelle un condamné échappe à son destin si la corde destinée à le pendre se casse, n’est pas respectée par les nazis. Un pendu doit mourir coûte que coûte.
Sous les yeux de Gaston Bernard, l’événement se produit un soir : « Un Hollandais, témoin de Jéhovah, proteste dans nos rangs lorsqu’on prend une autre corde pour remplacer celle qui s’est rompue. Le condamné est rependu et le Hollandais avec. »
Une autre fois, le condamné est si grand que, la planche enlevée, ses pieds touchent le sol. Aussitôt, on creuse à la pelle la terre sous les pieds du malheureux et les bourreaux se suspendent à lui afin d’achever de l’étrangler.
Vers la Noël 1943, c’est près d’un grand sapin illuminé qu’un détenu est pendu. À la fin de 1944, un second portique, plus large, est dressé sur un côté de la place d’appel : on peut y pendre en même temps plusieurs hommes…
Vers la fin de 1944, Émile Courtin est au premier rang, tout près de la potence où va mourir un jeune Russe du kommando Schuhfabrik, dont le seul crime est d’avoir découpé un morceau de cuir pour réparer une de ses galoches : « On fixe sur un des montants de la potence le morceau de cuir en cause pour que tout le monde le voie bien… Le jeune Russe commence par recevoir vingt-cinq coups sur les fesses, sanglé au chevalet de torture apporté pour l’occasion. Un officier S. S. s’avance vers notre rang et donne la schlague à un Russe pour qu’il frappe son camarade, ce qu’il fait mais avec si peu d’ardeur que le nazi fait signe aux deux bourreaux du camp de reprendre le relais. Ils arrachent des cris de douleur au malheureux qui, peu après, est porté à la potence et pendu. »
C’est donc le plus souvent à bout de forces et sous le coup de ces visions d’horreur que les détenus rentrent le soir de l’appel général sans être à l’abri, au cours de la nuit, d’un contre-appel isolé qui les jettera en chemise devant leur block. Si bien que rapidement ils ne s’interrogent plus sur la signification de ces rassemblements, tant il apparaît qu’ils ne sont, comme la quarantaine du début, qu’un moyen de briser la volonté, de laminer l’espoir, d’ajouter plus de fatigue à la détresse.
De même s’il apparaît très vite que la méconnaissance des langues et notamment de l’allemand est source de graves incompréhensions et douloureux mécomptes pour les Français, force est bien de constater que la France ne compte pas que des amis.
Le plus souvent, autour de nous, on ne rencontre qu’indifférence, raillerie, mépris et hostilité. « Scheiss-Franzosen » (merde de Français) est le propos avec lequel nous sommes accueillis par un grand nombre d’Allemands, de Polonais, de Tchèques, d’ukrainiens, pour ne citer que ceux-là.
La haine, les insultes et les coups venant des bandits de droit commun dont l’autorité au camp s’appuie sur la cruauté et le sadisme, ne sont pas pour nous surprendre. Mais, venant des autres,
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