Sachso
quelle désillusion amère et mortifiante !
Les Tchèques et les Polonais, qui avaient naguère confiance en la France, leur alliée, se sont sentis abandonnés et trahis en septembre 1939 avec la « drôle de guerre » .
Les Russes jugent sans aucune complaisance la France qui s’est – estiment-ils – retournée contre eux en été 1939 et voulait les faire se battre seuls contre l’Allemagne.
Jusqu’aux républicains espagnols, dont certains ne cachent pas leur ressentiment en rappelant qu’avant d’aboutir à Sachsenhausen, c’est chez nous qu’ils ont connu leurs premiers camps, leurs premiers gardes-chiourmes, après une défaite que la France n’avait rien fait pour leur éviter.
Ainsi notre pays est-il considéré par beaucoup comme le pays de la lâcheté et de la trahison. Cette appréciation, chaque jour entendue, est une grande souffrance morale pour les Français dont la seule présence au camp devrait pourtant attester qu’il n’y a pas que cette France-là, qu’il y a aussi des résistants qui se battent contre le même ennemi fasciste que nos détracteurs.
Malgré les rebuffades et les humiliations, combien faudra-t-il de patientes et difficiles explications, combien de fois faudra-t-il payer d’exemple en droiture, en dignité et en esprit de solidarité pour faire admettre le visage de la véritable France ?
Les relations sont d’autant plus difficiles que le travail de chaque jour place souvent les Français soit isolément, soit en petit nombre parmi des groupes compacts de Polonais, de Russes, d’ukrainiens.
C’est le cas de Gaston Bernard qui observe dans son petit kommando : « Les meilleurs postes de travail, l’encadrement sont tenus par des Allemands, cependant que de nombreux Polonais ont des responsabilités qui leur permettent de distribuer des travaux plus ou moins durs suivant leurs sympathies et antipathies.
« Les Russes reçoivent en général plus de coups de la part des S. S. En majorité d’origine rurale comme les Polonais, ils constituent avec ces derniers la masse des kommandos de terrassement, de construction, de chargement et de déchargement de wagons, camions, péniches, de manutention de briques, sacs de ciment, ferraille, etc. Mais c’est avec les Polonais, en grande partie travailleurs agricoles frustes et illettrés, que les contacts sont les plus difficiles. Ils n’ont retenu de l’histoire que la responsabilité de la France qui les a abandonnés lors de l’invasion de leur pays.
« Les Allemands ayant vécu à l’étranger, voyagé ou participé à la guerre de 1914-1918 (presque tous anciens de Verdun où beaucoup furent blessés) témoignent de la fraternité aux Français alors que les autres sont imbus d’une supériorité ethnique dont ils sont convaincus…
« Et toujours ces hurlements abrutissants, toujours ces ordres gutturaux qu’accentue la prononciation allemande, ainsi que la voix et la carrure des Vorarbeiter choisis par les S. S… »
Comprendre l’ordre devient vital, tout comme se faire comprendre. Ainsi que le relève Marcel Couradeau : « Dans ce monde à part, il était inévitable que se crée une langue se superposant à la langue d’origine de chacun, qu’un argot concentrationnaire devienne un nouveau mode d’expression de cette société particulière.
« On y retrouve un vocabulaire tiré de l’allemand, parfois déformé ou réduit, mais aussi emprunté au russe et au français. Ainsi les pommes de terre si rares et si convoitées sont indifféremment des “kartoffe” ou des “kartoche”, la gamelle est une “miski” ou une “Schüssel” et l’expression “comme-ci comme-ça” désigne le chapardage, un menu vol.
« Certains mots sont des diminutifs : rata (rutabaga) créma (crématorium). D’autres sont de simples initiales : S. K. (pour la Strafkompanie, compagnie disciplinaire) N. N. (pour les déportés soumis au régime spécial dit “Nuit et brouillard”).
« Quelques-uns recouvrent une réalité plus complexe, particulièrement au camp. “Organiser”, c’est essayer de survivre grâce à un truc : échanger, troquer, offrir, vendre quelque chose, au besoin en trompant sur la valeur et la qualité de la marchandise. On “organise” deux cigarettes contre un morceau de pain, une paire de souliers contre une capote, un bon kommando contre du chocolat, cinq mégots contre un lacet, que sais-je encore ! “Organiser”, c’est essayer de se procurer
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