Sachso
à force de persuasion, de ruse, d’habileté, plus de nourriture, plus de confort, des conditions de travail meilleures. Certains de ceux qui n’ont rien “organisent” tout de même : ils cousent le bouton d’un voisin, lui font son lit, lui nettoient sa gamelle pour en tirer quelque avantage…
« De même, le “sanatorium” n’est pas l’hôpital mais le kommando où les conditions de vie et de travail sont moins mauvaises que dans d’autres. À ce titre, faire partie du “Canada” ou de la “Californie” est une aubaine. Il s’agit des entrepôts où les S. S. accumulent tout ce qu’ils ont pillé sur les morts et les vivants. Y travailler, c’est avoir la possibilité d’ “organiser” à fond, c’est-à-dire de s’habiller et de se nourrir, donc de survivre.
« Par contre, les “musulmans” sont des êtres à part, des morts vivants, maigres, décharnés. Véritables squelettes ambulants, couverts de plaies, ils arrivent au terme de la résistance physique. On leur confie de petites corvées. Ce sont des sursitaires de la mort, pour quelques jours ou quelques heures.
« À noter qu’à Sachsenhausen, comme sans doute dans les autres camps, trois mots n’ont jamais eu leur équivalent en argot : le pain, la chambre à gaz, la potence. Les déportés n’ont, semble-t-il, pas voulu toucher à ces mots-clés, symboles de la vie et de la mort… »
LA FATIGUE ET LA FAIM
Deux à trois semaines après son entrée à Sachsenhausen, le déporté, brisé par le dressage de la quarantaine, est happé par l’inexorable engrenage du système concentrationnaire. Sur la base de sa fiche signalétique remplie à la Politische Abteilung, ou plus souvent au hasard de désignations arbitraires sur la place d’appel transformée en marché aux esclaves, il est affecté à un kommando de travail à l’intérieur ou à l’extérieur du camp, sous la surveillance conjuguée des S. S. et des contremaîtres détenus, les Vorarbeiter et Vormänner. Travailler, manger, dormir deviennent des hantises quotidiennes.
À l’extérieur, les intempéries sont aussi redoutables que les S. S. Avec les hommes qui construisent le Sonderlager, petit camp spécial pour personnalités, qui s’ajoutera au complexe de Sachsenhausen, Gaston Bernard s’ingénie à lutter contre le froid : « L’hiver, nous avons des protecteurs d’oreilles formés de deux parties ovales noires recouvrant chacune une oreille et réunies au-dessus de la tête par un arc métallique, un peu comme un casque de radio. Notre tenue comprend en outre un petit pull en “laine de bois” et une capote de même tissu. Mais une protection efficace consiste à prendre un sac de ciment vide, à y faire un trou pour la tête et deux pour les bras et à revêtir cette chasuble sous notre veste. Toutefois, gare à la fouille des S. S. ! Les Vormänner laissent faire jusqu’à ce qu’ils se fassent rappeler à l’ordre. Ceux qui se font prendre, accusés de sabotage pour avoir détourné du papier appartenant au Grand Reich, risquent d’être punis de coups sur les fesses. »
Beaucoup découvrent comment le manque de sommeil lamine la résistance physique et morale d’hommes déjà fatigués et sous-alimentés. Les S. S. le savent bien qui multiplient les contrôles et contre-appels nocturnes. Au block 16, où les Français sont nombreux, Frédéric Esparza est épuisé : « Toutes les nuits, on nous réveille et on nous fait sortir. Ce n’est plus une vie, nous sommes ici pour crever… »
Les alertes de nuit, de plus en plus fréquentes à partir de 1944, aggravent l’accablant déficit de sommeil qui engourdit Louis Péarron : « Chaque nuit ou presque, nous devons nous lever plusieurs fois. Les hommes n’en peuvent plus. Une compensation serait de pouvoir dormir ou au moins se reposer le dimanche après-midi, après le travail de la matinée. Mais cela se produit rarement, car le block est souvent puni pour une raison plus ou moins futile, si tant est qu’il y ait une raison.
« L’après-midi se passe alors en brimades de toutes sortes telles le saut du crapaud, les “couchez-levez” poursuivis sur l’Appelplatz jusqu’à épuisement total. Plus tard, pendant le prétendu repos dominical, des équipes sont formées pour décharger à la brouette des péniches remplies de gravats de Berlin. Le soir, nous sommes rompus, anéantis ; le lendemain matin, le travail nous attend à l’usine.
« Le
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