Sachso
l’armée rouge, en février, des signes de désordre se manifestent dans le camp. Je décide de ne pas prendre mon travail, mais, au lieu de retourner à mon block où des comptes me seraient immanquablement demandés, je rejoins Pierre Parigaux, qui est dans un block de Schonung.
« Dans la journée, il y a une rafle et tous ceux qui ne sont pas en règle se trouvent rassemblés sur la place d’appel. Nous sommes bientôt cernés par les S. S. et les chefs de blocks. Il apparaît vite que cette rafle s’organise en vue d’un départ en transport. Tout le monde connaît le sinistre enjeu de ce tri.
« Apercevant mon chef de block, je lui fais comprendre mes ennuis. Il regarde autour de lui et me dit : “ Schnett, weg ” (Vite, pars). Ce que je fais immédiatement. Ce politique allemand, nommé Martin, avait malgré ses longues années de détention, conservé des sentiments d’humanité. Il vient de me sauver la vie. »
Les règles d’hygiène et de propreté qu’impose la promiscuité indicible de la vie concentrationnaire sont ici érigées en grands principes. Elles sont rappelées par des consignes illustrées de belle manière et parlant de toutes leurs lettres gothiques comme l’inscription : Eine Laus, dein Tod (Un pou, ta mort), qui surmonte un pou en surimpression sur une tête de mort. Nul ne pourrait s’en plaindre, puisqu’il s’agit là d’assurer une indéniable condition de survie à laquelle les S. S., pour une fois, ne sont pas insensibles, parce qu’ils redoutent pour eux-mêmes les retombées possibles d’une épidémie de typhus.
Mais qui pourrait oublier ces défilés de cohortes frileuses, le soir après l’appel, confluant vers le bâtiment des douches et de désinfection, les brimades auxquelles donne lieu cette parodie de séance hygiénique, ces heures précieuses volées à un temps de sommeil déjà raccourci ?
Le chef du block de Pierre Clément vient d’annoncer l’heure de la douche : « Nous courons au plus vite chercher nos serviettes afin d’être les premiers. Six blocks doivent passer ce soir ; les derniers ne sortiront guère avant 20 h 30. Au pas de charge mais en rangs, nous traversons la place d’appel.
« Le chef du block 38, un malin, a fait entrer ses administrés immédiatement après l’appel, sans se soucier s’ils avaient des serviettes ou du savon.
« Derrière les fenêtres éclairées, des ombres enfilent leurs chemises. Brusquement, les portes s’ouvrent et vomissent un flot de Häftlinge à moitié nus.
« En grande bousculade, nous prenons possession des vestiaires. Les cris Los, los ! fusent de toutes parts. Pantalons, chemises, s’accrochent pêle-mêle. Tous sous la douche. Elle est bouillante. Une minute, une minute et demie. Les plus prudents se risquent dans le vestiaire. Les garçons de douche les reçoivent à coups de lance d’arrosage.
« L’eau de la douche se refroidit. L’instant est arrivé : il faut bondir sur ses vêtements, les ajuster en hâte, enfiler ses galoches à la volée, sortir rapidement, sous les hurlements des garçons qui projettent dehors les malheureux retardataires. »
L’offensive de grand style contre les poux, l’ Entlausung, pourrait n’être que risible à considérer la prolifération des parasites et des lentes au regard de ces branle-bas quasi quotidiens qui agitent le camp. En réalité, c’est aussi un moyen supplémentaire de se jouer des détenus, de les tourmenter davantage et d’amputer toujours plus leur temps de repos, ainsi que le rapporte Pierre Clément :
« Malgré la désinfection que tout nouveau subit lors de son entrée au camp, en dépit de la stérilisation des vêtements, il y a des poux dans chaque block et chaque lit. Pour que l’hygiène soit sauve, le règlement du camp prescrit une visite générale de tous les détenus, trois fois par semaine.
« Après la soupe du soir, à mon block, le 41, la visite des poux confine à la révolution !
« Le Stubendienst – qui répond au nom de Ernst et que chacun surnomme le Chacal – glapit : “Entlausung”, rameute un ou deux chefs de table, s’arme d’un crayon, tandis que le secrétaire étale devant lui les listes des présents.
« Les déportés se bousculent, se battent. Le Chacal crie, le chef de block hurle et le Schreiber gueule ! Un long monôme se replie cent fois sur lui-même à l’intérieur du block. On se bouscule encore un peu, essayant de resquiller. Tous
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