Sachso
prennent position tout autour, mais nous n’y attachons guère d’importance.
« La première heure se passe presque sans anicroche. Les Vorarbeiter se contentent d’activer un peu ceux qui choisissent les pavés les moins lourds. Tout à coup, le chef des S. S. appelle le responsable des Vorarbeiter, qui s’adresse à son tour à ses gardes-chiourme. Il faut aller plus vite, plus vite !
« Les hurlements bien connus commencent à retentir, ponctués de bousculades, puis de coups.
« Quelques S. S. viennent à la rescousse, manient la crosse. Un détenu tombe, c’est la curée : il est frappé à mort. Les gummis jaillissent et font courir ceux qui ne le voudraient pas. Deux Vorarbeiter campent devant le premier tas de pavés et obligent chaque détenu à en prendre maintenant un sous chaque bras. Un pavé est déjà éreintant à porter sur deux cents mètres pour des êtres sous-alimentés, épuisés par la fatigue et la terreur, souvent malades, mais deux pavés c’est très difficile et bientôt dans la colonne oscillante se manifestent les premiers abandons. Les coups redoublent. Les S. S. et leurs auxiliaires s’en donnent à cœur joie. Chacun d’eux veut avoir sa part. Quand un S. S. en a assez, un autre prend sa place. Malheur à ceux qui n’ont plus la force de porter leurs deux pavés, qui ne peuvent plus suivre la cadence de cette ronde infernale :
« Combien de victimes tombent au cours de cette journée ? C’est difficile à évaluer. En de tels moments, les événements et le temps ne peuvent être correctement appréciés. Tout paraît très long et la préoccupation dominante est tenir, tenir à tout prix.
« Au retour, tout est morne. Ceux qui en ont encore la force soutiennent les plus faibles. Nous n’avons qu’une seule envie : nous reposer, récupérer, afin de pouvoir résister aux efforts qui nous seront imposés le lendemain.
« Certains s’interrogent quand même : pourquoi cela ? Nous ne le saurons jamais. Moins qu’une corvée ou une punition, il est vraisemblable qu’il faut en chercher la raison dans l’imagination démoniaque de nos tortionnaires, désireux en ce jour de fête de s’offrir une distraction à nos dépens. »
André Jamain, le frère de Paul, un des dirigeants de la Résistance en Charente-Maritime, ne peut cacher un jour son mépris pour le tueur Arhim. Sans le moindre prétexte, la brute arrache et piétine les lunettes sans lesquelles André est presque aveugle. Battu sans cesse, de plus en plus incapable de réagir malgré le soutien de ses camarades, il tombe malade et meurt dans un transport d’extermination vers Mauthausen dans lequel son bourreau l’a fait inclure.
Si la mortalité est très grande parmi les Français du Baukommando, elle fait aussi des ravages dans les équipes des halls. Les pertes sont particulièrement lourdes au cours des premières semaines. L’hiver 1942-1943, très rigoureux, et les longues stations sur la place d’appel battue par un vent glacial, les rations insuffisantes de rutabagas, de pommes de terre et de pain noir, les fatigues du travail forcé, la répression dans les halls et dans les blocks déciment les rangs des Français. Quand, en mai 1943, une grande partie de la seconde vague des déportés venant de Compiègne, les « 65 000 », arrive à son tour à Heinkel, la moitié des « 58 000 » qui sont là depuis février a été exterminée.
Les nouveaux arrivants sont affectés, pour l’essentiel, au hall 2, où sont découpées, embouties à la presse, les pièces du He-177. C’est dans ce hall, près d’une entrée du camp, et dans les blocks qui lui correspondent, que les Français deviennent les plus nombreux. Jusqu’en mai 1943, le hall 2 n’était pas intégré directement au kommando Heinkel. Des P. G. français y travaillaient la nuit, des déportés le jour, et, si les contacts entre les uns et les autres étaient difficiles, ils n’en existaient pas moins. Les tiroirs des établis utilisés conjointement pour le travail servaient de boîtes à lettres pour des messages, des journaux.
C’est en ouvrant sa caisse à outils que Roger Vidal croit rêver un matin : « J’y trouve trois cigarettes Gauloise et trois biscuits. Le lendemain, j’y découvre d’autres gâteries et, écrites au poinçon sur un morceau d’aluminium, quelques lignes en français du P. G. auteur de ces gentillesses. Cette correspondance et ces dons se prolongent plusieurs
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