Sang Royal
Guildhall. Son apparition me rappela Fulford. Je lui rendis son salut et il vint vers nous.
« Vous vous reposez, monsieur ? » me demanda-t-il. Son regard était à la fois pénétrant et interrogateur. Peut-être souhaitait-il pouvoir décrire à ses collègues la façon dont m’avaient affecté les moqueries du roi. Je savais que j’avais les traits tirés, même si ma lassitude avait d’autres causes.
« En effet. Nous jouissons d’une matinée de repos avant de traiter le reste des requêtes, cet après-midi.
— Les auditions se sont-elles déroulées sans encombre ?
— Absolument. Le confrère Wrenne connaît très bien son travail.
— Aucun autre avocat yorkais n’est plus respecté. Mais il n’accepte plus de nouveaux dossiers, paraît-il. Peut-être a-t-il décidé de prendre enfin sa retraite.
— Il n’est plus tout jeune, répondis-je évasivement.
— Et il fait son âge depuis peu. »
Je ne répondis pas. Tankerd esquissa un vague sourire. « Bon. Il faut que je file. On a demandé au Conseil de forcer les fermes d’Ainsty à livrer tous leurs produits à Sainte-Marie, même le grain de semence. Mais on offre un bon prix. Il semble que le roi d’Écosse ne soit pas près d’arriver… Eh bien, passez une bonne journée ! » Il se tut, avant d’ajouter : « Ce que le roi vous a dit est une honte, monsieur. Je ne suis pas le seul à le penser. »
Très surpris, je levai les yeux vers lui. « Merci… Ils ne se gaussent donc pas tous de moi, au Guildhall ? ajoutai-je après une courte pause.
— Absolument pas, monsieur. Cette cruelle plaisanterie n’a pas rehaussé la réputation du roi.
— Merci, confrère Tankerd. Voilà une bonne nouvelle. »
Il inclina le buste. Je le regardai s’éloigner.
Barak me donna un petit coup de coude. « Les voici ! »
Mlle Marlin et Tamasin avançaient lentement dans la rue. Derrière elles un serviteur armé transportait un gros carton, sans doute plein d’articles de couture.
« Bonjour ! » leur lançai-je.
Nous étions assis à contre-jour et Mlle Marlin plissa les yeux quelques instants avant de nous reconnaître. Elle hésita.
« Pouvons-nous nous arrêter quelques instants, mademoiselle ? s’enquit Tamasin d’un ton doucereux. Je suis restée debout toute la matinée. Cela me soulagerait de m’asseoir un peu. » Cette donzelle était à l’évidence une habile diplomate.
Mlle Marlin nous regarda, devinant peut-être qu’il ne s’agissait pas d’une rencontre fortuite. Elle finit par opiner du chef.
« D’accord. Prenons quelques instants de repos. »
Je me levai et inclinai le buste pour l’inviter à s’asseoir.
« Ce banc-ci est trop petit pour nous tous, dit Tamasin. Venez, maître Barak, allons sous cet arbre-là. Je vais vous montrer nos beaux achats.
— Hein ? Oh oui ! » Barak suivit Tamasin qui se dirigea vers un chêne qui se trouvait un peu à l’écart. Le serviteur étant allé s’asseoir sur l’herbe à une distance respectueuse, je me retrouvai en tête à tête avec Jennet Marlin, à qui je fis un vague sourire.
« Eh bien, mademoiselle Marlin, comment allez-vous ? » Elle paraissait fatiguée, soucieuse, et la tristesse se lisait dans ses grands yeux. Elle écarta de son front des mèches brunes rebelles qui s’étaient échappées de l’attifet. « Vous avez des nouvelles de Londres ?
— Non. Et on ne sait toujours pas quand on pourra quitter cette affreuse ville.
— Le sénéchal dit qu’on achète encore des provisions.
— Les hommes vont s’agiter dans le campement et s’en échapperont le soir, comme à Pontefract… Par la Sainte Vierge, je regrette de m’être laissé persuader de m’embarquer dans cette aventure », soupira-t-elle. Elle posa sur moi un regard grave. « Bernard, mon fiancé, était censé nous accompagner… En fait, reprit-elle après une courte hésitation, il aurait dû faire le travail que vous effectuez en ce moment. L’examen des placets.
— Ah ! je l’ignorais.
— Bernard a été arrêté, puis son remplaçant est mort. Ce poste porte malheur. »
Pas étonnant qu’elle se fût montrée si hostile au début. Toutefois, elle semblait m’avoir désormais accepté, au point de me prendre pour confident. Cela me fit plaisir et me donna l’impression que nous nous étions réconciliés, la petite Suzanne de mon enfance et moi. Je dois cesser de substituer les personnes que je rencontre aux
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