Sang Royal
description que m’en avait faite Bernard.
— Par conséquent, vous êtes devenue amie avec moi tout en projetant de me tuer, parce que vous pensiez que je connaissais le contenu du coffret ? »
Giles se trouvait maintenant juste derrière elle, sa canne brandie à deux mains au-dessus de la tête de Jennet Marlin. Mais il hésitait sans doute craignait-il que, s’il la frappait, la femme, en tombant libère le carreau de l’arbalète.
« Oui, pour essayer de vous arracher vos secrets. Vous faisiez semblant d’être mon ami, tout en riant sous cape, car vous saviez que certains des documents mettaient en cause Bernard. Rester courtoise s’avérait plus difficile que vous tuer. Dès que j’apercevais votre silhouette difforme, j’avais envie de vomir… »
Je comprenais mieux le motif de son inimitié. « Mademoiselle, répliquai-je, je n’ai fait qu’entrapercevoir les documents. Je n’ai rien vu qui puisse compromettre votre fiancé.
— Billevesées ! Vous ne faites pas confiance à Maleverer, mais dès que vous aurez regagné Londres, vous révélerez tout à votre maître Cranmer. Il faut que vous sachiez… »
Elle ne finit jamais sa phrase : à ce moment précis, Giles lui assena de toutes ses forces un violent coup de canne sur la tête. On entendit un atroce et sonore craquement. Jennet poussa un petit gémissement de surprise, avant de s’effondrer sur le sol. L’arbalète produisit un déclic et je me jetai vers la droite. Le carreau se ficha avec un bruit sourd dans le bois de la tour du feu d’alarme, tout à côté de moi. En relevant les yeux, je découvris Jennet Marlin, à plat ventre sur le sol, la tête cachée par son capuchon. Giles se trouvait derrière elle, oscillant légèrement sur ses jambes, les yeux écarquillés.
Je me précipitai vers le corps de la jeune femme, gisant à côté de l’arbalète. Je lui saisis le bras, qui retomba, flasque, sans vie. Je retournai le corps… Elle était morte. Les mèches brunes étaient poissées de sang, les grands yeux, vides, fixés au ciel, pareils à ceux d’un poisson, dépourvus désormais de toute cette dévorante passion. Je fus alors pris de violents vomissements.
Je sentis un bras sur mon épaule et me relevai. Les yeux écarquillés de Giles et le tressaillement de sa joue indiquaient à quel point il était bouleversé.
« Je l’ai tuée ? » chuchota-t-il.
Je hochai la tête. « Vous m’avez sauvé la vie. Avez-vous tout entendu ?
— Suffisamment. » Il contempla le corps. « Dieu du ciel ! s’exclama-t-il, avant de prendre une longue et profonde inspiration.
— Comment avez-vous réussi à sortir ?
— Je connais l’église de Holme depuis mon enfance. Quand je ne suis pas parvenu à ouvrir le portail, j’ai emprunté une autre sortie. Il existe une porte latérale… J’avais tellement peur qu’elle appuie sur la détente », poursuivit-il en fixant le cadavre.
Je ramassai l’arbalète et saisis le bras de Giles. « Venez ! dis-je à voix basse. Il faut que nous redescendions au campement. Nous devons informer Maleverer de cet accident séance tenante. »
34.
SUR LE CHEMIN DU RETOUR AU CAMPEMENT, je tâchai de ne pas être agacé par le pas lent et hésitant de Giles, qui, appuyé sur sa canne, avançait à tâtons dans l’obscurité. L’arbalète, que j’avais ramassée, pendait au bout de mon bras.
« Maleverer va-t-il se trouver au manoir de Holme ? demanda Giles.
— Sans doute. Il faut qu’on s’y rende.
— Il est difficile de croire qu’une femme soit capable de faire ce qu’elle a fait.
— Ça arrive parfois », répliquai-je.
Parvenus en bas de la pente, nous tournâmes à droite et prîmes la direction du manoir. Giles avait l’air épuisé. Je posai la main sur son bras.
« Avez-vous assez de forces ? Peut-être devriez-vous retourner au campement, chercher la tente qu’on vous a allouée et vous reposer.
— Non. Je vous accompagne. Maleverer voudra nous voir tous les deux. »
Nous atteignîmes le haut mur qui entourait la propriété et dont le large portail était gardé par des soldats. Ils refusèrent de nous laisser entrer, mais je persuadai l’un d’entre eux d’aller quérir Maleverer. Giles s’affala sur un monticule près du portail, noua les mains sur le pommeau de sa canne et baissa la tête.
« Ça va ? demandai-je.
— Oui, oui. J’ai… j’ai un peu mal… Mais n’en faites pas toute une histoire ! »
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