Sépulcre
Rennes-les-Bains, attaquant les enfants et les paysans dans les fermes isolées. Ces attaques avaient toutes un point commun : le visage des victimes portait trois grandes balafres semblables à des marques de griffes.
Meredith interrompit sa lecture en songeant aux blessures subies par le père de Hal alors que sa voiture gisait dans la gorge du fleuve, et à la statue défigurée de la Vierge perchée sur le pilier wisigoth, devant l’église de Rennes-le-Château. Une bribe de son cauchemar lui revint alors – l’image d’une tapisserie suspendue au-dessus d’un escalier mal éclairé. La sensation d’être pourchassée, de griffes et de fourrure frôlant sa peau, effleurant ses mains.
Un, deux, trois, loup.
Retour au cimetière de Rennes-les-Bains, au souvenir de l’un des noms gravés sur le monument aux morts de la Première Guerre mondiale : Saint-Loup.
Coïncidence ?
Meredith étira ses bras au-dessus de sa tête pour tenter de chasser le froid, la raideur du petit matin et ses souvenirs de la nuit, puis reprit sa lecture. Les morts et les disparitions inexpliquées s’étaient multipliées entre 1870 et 1885. Puis, après une période de relative accalmie, les rumeurs avaient repris de plus belle à partir de l’automne 1891 : on racontait qu’une créature – un démon, selon le folklore local – s’abritait dans un sépulcre wisigoth au sein du Domaine de la Cade. Il y avait eu, par intermittence, des morts mystérieuses au cours des six années suivantes, puis les attaques avaient brusquement cessé en 1897. Sans l’affirmer explicitement, l’auteur laissait entendre que la fin de la vague de terreur était liée à la destruction d’une partie de la maison ainsi que du sépulcre dans un incendie.
Meredith referma le livre et se blottit dans le fauteuil. Elle sirota son chocolat tout en tentant de mettre de l’ordre dans ses idées. Elle venait de comprendre ce qui la tracassait. N’était-il pas étrange qu’un ouvrage consacré au folklore et aux légendes locales ne fasse aucune allusion au jeu de tarot ? Audric Baillard avait dû en entendre parler au cours de ses recherches. Non seulement le jeu avait été inspiré par les paysages environnants et imprimé par la famille Bousquet, mais il datait précisément de l’époque dont traitait le livre.
Était-ce une omission volontaire ?
Puis, soudain, la sensation revint. Un froid, une densité de l’air, indécelable l’instant d’avant. L’impression d’une présence, pas dans la chambre mais tout près. Fugace, une simple trace.
Léonie ?
Meredith se sentit attirée vers la fenêtre. Elle ouvrit le gros loquet en métal, écarta les deux battants, puis les volets, qu’elle repoussa contre le mur. L’air froid lui mordit la peau et lui piqua les yeux. Les cimes des arbres oscillaient, sifflaient et soupiraient dans le vent qui sinuait autour de leurs troncs antiques à travers l’enchevêtrement de feuillages. L’air agité charriait l’écho d’une musique. Des notes flottaient dans la brise. La mélodie du lieu.
Alors qu’elle scrutait le terrain, Meredith perçut un mouvement du coin de l’œil. Une silhouette mince et gracieuse revêtue d’une longue cape, une capuche sur la tête, sortait de la maison.
Il lui sembla que le vent forcissait ; il s’engouffrait maintenant dans l’arche taillée à même la haute haie de buis qui donnait sur les prés. Au loin, les crêtes blanches des vagues du lac déferlaient jusque sur l’herbe de la berge.
La silhouette restait dans l’ombre, filant sous le pâle soleil levant qui dardait entre de minces strates de nuages courant dans le ciel rose. Elle semblait glisser au-dessus de l’herbe humide de rosée. Une odeur de terre, d’automne, d’humus, de chaume brûlé, de feux de joie montait jusqu’à Meredith. Une odeur d’os calcinés.
Silencieuse et fascinée, elle suivit des yeux la silhouette – une silhouette féminine, Meredith en était sûre – qui se dirigea vers la rive la plus éloignée du lac, et s’arrêta un instant sur un petit promontoire surplombant l’eau. Meredith eut alors l’impression que son champ visuel se rétrécissait, se rapprochait de la silhouette, comme une caméra qui fait un zoom. Elle imagina que la capuche tombait pour révéler le visage pâle et gracieux de la jeune fille, dont les yeux verts avaient jadis étincelé comme des émeraudes. Une ombre sans couleurs. L’écheveau de boucles se déroula,
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