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Sépulcre

Sépulcre

Titel: Sépulcre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Kate Mosse
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d’œuvres d’artistes prussiens. Mais on était ici au palais Garnier, pas au fin fond d’un quartier populaire.
    Que pouvait-il arriver à l’Opéra ?
    Léonie se fraya un passage entre les genoux et les robes qui encombraient la rangée et s’assit enfin à sa place, soulagée. Elle prit le temps de se remettre de ses émotions, puis jeta un coup d’œil à ses voisins. Sur sa gauche, une femme d’âge mûr croulant sous les bijoux était assise auprès de son mari, un vieux monsieur aux sourcils broussailleux dont les mains marbrées par l’âge reposaient sur le pommeau argenté d’une canne gravée d’une inscription sur le col. À sa droite, séparés d’elle par le vide que laissait la place d’Anatole, quatre barbus d’âge moyen à l’air peu amène tenaient chacun une canne en buis très commune d’aspect. Il y avait quelque chose de crispant dans la façon dont ils restaient immobiles, à fixer la scène en silence.
    Fait étrange, ils avaient tous gardé leurs gants de cuir, songea Léonie, mais l’un d’eux tourna la tête et la regarda. En rougissant, elle détourna les yeux pour admirer les magnifiques rideaux en trompe-l'œil dont les plis de pourpre et d’or tombaient du haut de l’arc de scène jusqu’au plancher.
    Et si Anatole n’était pas en retard ? S’il lui était arrivé quelque chose de fâcheux ?
    Léonie rejeta cette idée troublante, sortit son éventail de son sac et l’ouvrit d’un claquement sec. Elle avait beau chercher des excuses à son frère, il s’agissait sans doute d’un simple retard, comme cela lui arrivait si souvent ces temps derniers.
    À vrai dire, depuis les événements funestes qui avaient eu lieu au cimetière de Montmartre, Anatole était encore moins fiable qu’avant. Léonie se rembrunit au souvenir de ce jour qui la hantait et qu’elle revivait sans cesse.
    En mars, elle avait espéré que ce serait fini et bien fini, mais son frère continuait d’avoir un comportement étrange, il disparaissait pendant des jours, revenait au beau milieu de la nuit, évitait la plupart de ses amis et relations pour se jeter dans le travail.
    Mais ce soir, il avait promis qu’il serait à l’heure.
    Quand le chef d’orchestre avança sur son perchoir, ses inquiétudes s’envolèrent. Un tonnerre d’applaudissements retentit dans la salle de concert, violent, intense. Léonie applaudit avec force et enthousiasme, pour mieux chasser son anxiété. Les quatre messieurs à côté d’elle ne bronchèrent pas et gardèrent les mains sur leurs vilaines cannes. Les trouvant discourtois et grossiers, elle leur jeta un regard critique. Pourquoi avoir pris la peine de venir s’ils étaient décidés à ne pas apprécier la musique ? Tout en s’en voulant de sa pusillanimité, elle regrettait d’être assise auprès d’eux.
    Le chef d’orchestre s’inclina profondément, puis se tourna face à la scène.
    Les applaudissements moururent doucement. Le silence tomba sur la Grande Salle. Le chef tapa de sa baguette sur son pupitre en bois. Les lampes à gaz qui éclairaient la salle réduisirent leur flamme en crachotant. C’était l’instant suspendu où chacun retient son souffle. Les musiciens se redressèrent, levèrent leurs archets, portèrent le bec de leurs instruments à leurs lèvres.
    Le chef brandit sa baguette, et les premiers accords de l’ouverture de Lohengrin emplirent l’immense salle de concert.
    À côté d’elle, le siège resta vide.

2.
    Les sifflets et les cris d’animaux partirent presque immédiatement de la galerie la plus haute. Au début, la majorité du public ignora ces trouble-fête. Mais le raffut se fit plus fort, plus envahissant. Bientôt des voix s’élevèrent aussi du balcon et de l’orchestre.
    Léonie n’arrivait pas à distinguer ce que vociféraient les protestataires et gardait les yeux obstinément fixés sur la fosse d’orchestre, décidée à ne pas leur prêter attention. Mais à mesure qu’on jouait l’Ouverture, une agitation sournoise, insidieuse se répandit à travers la salle, du haut en bas et au long des rangs. N’y résistant plus, Léonie se pencha vers sa voisine.
    — Qui sont ces gens ? chuchota-t-elle.
    La douairière prit un air fâché, mais daigna lui répondre en s’abritant derrière son éventail.
    — Ils se surnomment les « abonnés ». Ils s’opposent à la représentation d’œuvres de compositeurs autres que français, en se targuant d’être des mélomanes

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