Serge Fiori : s'enlever du chemin
l’homme public,
séparer le bon grain de l’ivraie en matière de relations interpersonnelles, repousser ceux qui convoitent sa place, le
soutenir dans ses déboires amoureux, calmer ses appréhensions et apaiser ses doutes. Vivre avec un être aussi lumineux exige du détachement et une forme de renonciation. Tous veulent un peu de Fiori, et Marie-Claire a dû faire
face, à plus d’une reprise, à sa peur d’être abandonnée.
Jamais Serge Fiori n’a trahi son engagement envers elle.
Revenons à notre récit.
En compagnie de Marie-Claire, Serge découvre les bienfaits d’une vie plus simple. Méditation, végétarisme, repos ; il s’agit d’un changement draconien de style de vie.
Pendant un temps, ils vivent comme des bohémiens. Ils ne
possèdent pas de véritable domicile, outre la petite Rabbit
de Marie-Claire ; ils se promènent, fréquentent le Maine,
où ils louent des chambres à Wells et Ogunquit, ratissant
les
plages
à
longueur
de
journée
jusqu’à
épuisement.
Quand ils rentrent au Québec, ils dorment chez des amis.
Marie-Claire est convaincue que si Fiori se repose, s’il
mange mieux et se tient loin de ses amis musiciens pendant toute une année, il reprendra sans doute la musique
et tout ira mieux pour lui. Serge, quant à lui, est loin de
croire cela. Il est déjà persuadé qu’il ne fera plus de scène,
même s’il continuera de faire de la musique. Mais ces moments heureux, en compagnie de Marie-Claire, sont une
cure pour lui. Il essaie de profiter de ce qu’il fait : il s’adonne avec plaisir à la méditation, à la marche. Il mange bien,
respire l’air frais. Il espère ainsi passer au travers des difficultés qu’il vit. Son père, irrité devant la nouvelle attitude
zen et contemplative de son fils, lui annonce qu’il rêve en
couleurs s’il pense réintégrer le monde ordinaire et vivre le
reste de son existence dans l’anonymat. « T’es Serge Fiori,
mon garçon ! Dès que tu marches dans la rue, tout le monde te reconnaît ! Tu peux pas faire semblant que t’es monsieur Tout-le-Monde ! »
Personnellement, il n’y a pas un seul moment, au cours
des cinq années où j’ai fréquenté Fiori, où nous sommes
sortis sans que quelqu’un ne nous approche pour lui parler. Je l’ai accompagné dans différents voyages, lorsque
nous étions des amoureux, et même dans les aéroports et
les cafés, il s’est toujours trouvé quelqu’un pour le reconnaître et l’aborder.
À Prague, à l’automne 2007, Marie-Claire, Serge et moi,
nous nous sommes retrouvés dans un restaurant. En sortant de l’établissement, une Québécoise l’accoste et le
supplie de venir saluer sa tablée, une bande de chanteurs
du Québec de passage dans la ville. Restées dehors pour
l’attendre, Marie et moi avons été stupéfiées d’entendre la
voix de quarante personnes chanter Dixie dans le restaurant ! Je me souviens du regard ahuri des Pragois qui marchaient sur le trottoir et qui entendaient tout un restaurant
chanter en français !
Mais Dixie ne suffisant pas, le groupe entonnait maintenant les premières paroles d’ Un musicien parmi tant
d’autres . Marie et moi, nous nous sommes regardées, avec
la même crainte dans le regard. Sans dire un mot, nous
nous sommes précipitées à l’intérieur, pour retrouver notre Serge planté devant le groupe, l’air paniqué, avec ce
sourire qu’il arbore quand il ne veut pas froisser ses fans, mais qui indique qu’il ne sait plus comment s’échapper. Je
me suis approchée de lui et il m’a dit tout bas, à l’oreille :
« Je t’en supplie, sors-moi d’ici. »
Je n’avais pas encore eu le temps de réaliser ce qu’il me
demandait, que Marie, habituée par vingt-cinq ans de cohabitation avec lui, avait déjà saisi ce qui se passait. Elle
s’est adressée au groupe. Elle s’est excusée, prétextant que
nous devions absolument quitter le restaurant. Elle a précisé que leur attention était vraiment gentille et appréciée.
Autant Fiori se sent reconnu quand il est adulé, autant
il se sent envahi et étouffé par sa popularité. Il est à la fois
extraverti et humble. Pour se soustraire aux aléas de la vie
publique, il se fabrique une vie parallèle dans laquelle il va
dans des endroits peu fréquentés, des cinémas inconnus,
des restaurants obscurs. Ce n’est pas tant qu’il veuille fuir
son public ; au contraire, il adore le
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