Serge Fiori : s'enlever du chemin

fait part de ses inquiétudes, mais cette dernière
banalise la situation   : «   Ce doit être un de ses trips , dit-elle,
si j’ai des nouvelles, je te rappellerai.   »
    Loin d’être rassuré, Georges se pointe chez Serge, dé
fonce la porte et trouve son fils prostré, assis à la table de la
cuisine. De nouveaux problèmes viennent de surgir   : Serge
ne voit qu’à demi. Il perçoit tout ce qui se trouve dans la
moitié inférieure de son champ de vision, mais ne détecte
rien de ce qui se trouve dans la partie supérieure. Le père,
inquiet, ramène son fils à son appartement où il l’installe
dans la chambre d’amis   : «   Coudonc , as-tu pris des goofballs   ?   » Pour Georges, toutes les drogues s’appellent des goofballs   : au cours de sa jeunesse, de petites pilules circulaient, généralement des barbituriques, qui rendaient
les gens dingues comme Goofie, le célèbre personnage de
dessin animé, d’où leur nom. Serge avoue à son père que
ce qu’il a pris est beaucoup plus puissant que ses goofballs et que, contrairement à elles, l’effet de cette drogue ne disparaît pas.
    Installé chez son père, Serge essaie de récupérer. Il tente,
malgré la profonde dépression qui l’accable, de se refaire
une santé en mangeant à des heures régulières, et en essayant de dormir le plus possible. De temps à autre, Georges essaie de le rassurer et, dans le but avoué de secouer
son fils, lui affirme qu’il est plus fort que ça, qu’il n’est pas
un lâcheur, qu’il doit persévérer. En réalité, Georges réalise
à quel point il est démuni et impuissant devant la détresse
et le désarroi de son fils. De son côté, Serge se fait le serment que, si jamais il émerge de ce cauchemar, il consacrera le reste de sa vie à aider les autres, à faire le bien, à
guérir les âmes. Il veut non seulement changer sa vie, mais
aussi celle des autres. Une promesse qu’il entend bien tenir.
    Enfin le temps accomplit son œuvre et Serge se relève
progressivement de sa dépression, de sa léthargie. Il n’en
demeure pas moins que cet épisode qu’il vient de traverser
l’a fragilisé plus qu’il ne le croyait, et que les troubles résiduels causés par cette expérience, notamment l’anxiété
et la dépression, resteront comme une épée de Damoclès
au-dessus de sa tête.
    À partir de ce jour, Serge ne touchera presque plus à la
drogue   : il ne fumera un joint ici et là (en étant bien au
fait de ce qu’il contient) qu’en de très rares occasions. Bien
sûr, comme tous les membres du groupe Harmonium, il
projettera l’image d’un adepte des drogues, mais cette apparence relèvera davantage de la croyance populaire, des
préjugés à l’égard des musiciens, que de la réalité.
    Cette longue période d’errance – presque une année entière –, Serge a tenté de la reconstituer par bribes en se prêtant à des séances d’hypnose. Si de grands pans de cette
période lui sont revenus en mémoire, au cours des dernières années, d’autres moments demeurent définitivement
enfouis   ; ce sont des souvenirs désormais inaccessibles.

    Au terme de ces mois douloureux, c’est un Serge Fiori
transformé qui décide de modifier jusqu’à son environnement   ; il débarrasse sa chambre de tous les objets qui
lui rappellent les derniers mois et les remplace par des
albums musicaux et des livres. Il se procure les disques
de Jimi Hendrix, de Led Zeppelin, de Crosby Stills Nash
&   ; Young, de Joni Mitchell, de James Taylor et des Beatles,
mais aussi des enregistrements de Mahler, de Beethoven
et de Mozart, ainsi que des comédies musicales. Cet environnement lui ressemble davantage. Il écoute des albums
du matin au soir, souvent en boucle. Côté littérature, il lit La Cosmogonie d’Urantia, le Traité des Rose-Croix , la Bible   ;
le jeune homme se cherche désespérément. Lors de l’une
de ses lectures, il tombe sur un passage qui mentionne la
colonne vertébrale et ses chakras   ; l’ouvrage lui tombe littéralement des mains. Ce texte vient confirmer tout ce qu’il a
appréhendé et perçu au cours de son bad trip . Il en déduit
qu’il ne pourra plus jamais s’incarner dans le concret, qu’il
a atteint un niveau de conscience au-delà de cette réalité
terrestre.
    Il se laisse pousser les cheveux, se maquille, change de
style vestimentaire. C’est en arborant un