Serge Fiori : s'enlever du chemin

mettre en état de réceptivité. Si le musicien se
perçoit comme l’ouvrier de la chanson, qu’il est humble et
prend son temps, il peut avoir la certitude que la chanson
va s’écrire.
Album Harmonium
    En peu de temps, Serge compose des chansons solides   : Un musicien parmi tant d’autres , Si doucement et De la
    chambre au salon . Cette dernière pièce, il la joue à Lucie
dans la cuisine en lui demandant ce qu’elle en pense.
    «   J’ai vite compris que les chansons de Serge constituaient
son meilleur moyen de communication. C’est par elles
qu’il arrivait à parler de ce qu’il vivait dans notre relation.
Lorsque j’entends le premier album d’Harmonium, c’est
toute notre relation que je revis.   » La beauté des chansons
de Fiori, c’est qu’elles peuvent toutes être lues et décodées
sur plusieurs plans. Il a toujours pris un soin minutieux à
écrire des textes à plusieurs degrés de lecture, qui prêtent à
toutes sortes d’interprétations et qui ne peuvent être perçues sur un seul et unique plan. Ainsi, l’interprétation de
Lucie de cette chanson est parfaitement réelle et justifiée,
elle colle à la réalité que vivait alors le couple. En revanche,
on pourrait aussi lire cette chanson à travers un prisme
politique, quand on sait où Serge se situe sur ce plan, ou
encore l’analyser grâce à une grille sociologique. S’il part

d’une idée maîtresse dans l’élaboration de ses textes, Serge Fiori s’assure que chacun puisse l’interpréter à sa manière   : c’est le côté rassembleur de ses chansons qui s’exprime ainsi et qui explique en bonne partie pourquoi ses
textes on marqué toute une génération et touché autant de
monde. Il possède ce rare talent de passer de l’anecdote au
message, du personnel au social et au politique.
    Âme intègre, Fiori ne fera jamais de concessions en ce
qui a trait à ses chansons   ; il continuera à les faire aussi
longues qu’il le désire – qu’elles doivent l’être, en fait –, et
acceptera toutes les conséquences qui découleront de sa
décision. Il prendra d’ailleurs la mesure de ces limites avec
l’album l’heptade   : les stations de radio refusent de diffuser les pièces de cet album parce qu’elles sont trop longues. Cela n’empêchera pourtant pas l’album de se vendre
à plus de deux cent quarante mille exemplaires   ! Ces ventes
donneront raison à Serge   : inutile de faire des concessions
pour être «   commercial   ». Harmonium n’en a pas fait et a
tout de même connu un immense succès.
    Un soir, Yves Ladouceur est invité à une soirée, rue Hutchison, à la demande de Serge et de Michel, qui veulent
lui présenter leurs nouvelles chansons. Lors de cette soirée magique, en présence de leurs compagnes Marie et
Lucie, et de leur grand ami Claude Meunier, Fiori et Normandeau acceptent l’offre d’enregistrement et de gérance
de Ladouceur, qui leur propose, afin de sceller leur alliance, une émission de radio d’une heure et demie à CKVL.
À cette époque, il est possible de faire, à la radio, ce genre
de prestation en direct avec des musiciens. Le trio se retrouve pour la première fois ensemble en studio, avec un
Louis Valois nerveux, car il doit s’occuper de la basse et du
piano. Malgré tout, l’expérience se révèle agréable, le public adore ce son nouveau.
    Les trois musiciens amorcent alors une série de tour
nées dans des cafétérias de cégeps, à l’heure du lunch. Ils
s’organisent peu à peu. L’équipe s’agrandit avec l’ajout de
Pierre Labonté à la scénographie et à l’éclairage, puis de
Gratien Roy, ingénieur du son. Tous ces gens se déplacent
alors avec leur matériel dans une vieille fourgonnette, un
véritable tacot qui peine à monter les côtes, spécialement
l’abrupte pente de la rue King, à Sherbrooke. Pour parvenir
au sommet de cette ville, ils empruntent des rues adjacentes, en descendent quelques-unes au neutre, puis se donnent un élan, rue Granada, pour atteindre le sommet. Et
ça, c’est quand ils ne poussent pas carrément le véhicule   !
À l’Université de Sherbrooke, seules douze personnes se
présentent à la cafétéria. Qu’à cela ne tienne, Serge les invite à se rassembler autour du trio qui donne malgré tout
son spectacle. Quand les musiciens retourneront dans
cette même cafétéria, quelques mois plus tard, la salle sera
tellement bondée que les jeunes devront