Serge Fiori : s'enlever du chemin
demeurer debout
ou s’entasser sous les cadres de portes, pressés les uns sur
les autres.
Entre-temps, Michel découvre et rapporte à ses deux
amis l’illustration d’un musicien de l’ère médiévale portant de nombreux instruments, image qu’il a dégottée
dans un livre à la bibliothèque de l’Université de Montréal.
L’illustration étant libre de droits, elle est adoptée illico par
le trio et le groupe est aussitôt baptisé : Harmonium. Denise, la conjointe de Claude Meunier, graphiste de métier,
réalise la première affiche du groupe.
Harmonium se produit de plus en plus souvent et le
groupe commence enfin à faire parler de lui : de nombreux spectateurs se déplacent pour aller l’entendre. On
le retrouve notamment au spectacle de la Saint-Jean-Baptiste de 1973, qui se tient sur la place Jacques-Cartier,
dans le Vieux-Montréal. Gilles Valiquette, qui y rencontre
les membres d’Harmonium pour la première fois, situe le
contexte musical de l’époque, alors que les célébrations de
la Saint-Jean-Baptiste représentaient la consécration pour
les artistes : « En l’absence de festivals d’été, la fête nationale était le moment tout désigné pour les groupes de présenter leur répertoire. Et tout ce qui se faisait de valable
en musique pouvait être vu et entendu à cette occasion.
Il faut dire que la période de 1968 à 1972 a été marquée
par un trou dans l’industrie du disque québécois. Après
Woodstock, la fin d’une époque, une nouvelle génération
musicale se préparait. Mais les risques étaient trop grands
pour les compagnies de disques. Aussi, les Ferland, Gauthier, Julien tentaient-ils leur chance en France. La seule
exception à cette règle était Charlebois, le seul qui ait su
assurer la continuité de 1969 à 1972. »
La présence d’Harmonium au spectacle de la fête nationale ne passe pas inaperçue. Grâce à ses textes, au son
nouveau qu’il apporte au paysage musical, à la fougue et à
la jeunesse de ses membres, le groupe devient de facto un
porte-étendard de l’éveil nationaliste québécois. Michel
Tremblay, alors directeur de la promotion chez le producteur de disques WEA (Warner / Elektra / Atlantic) assiste
à la fête : comme tous les spectateurs, il est ébloui par la
performance du trio et en avise sans délai son directeur,
Jacques Chénier. Quelques semaines plus tard, Harmonium est invité par Chénier père à se produire à Ferme-Neuve, là où le fils de Chénier fait la promotion et la mise
en valeur de nouveaux groupes québécois. Par la suite, au
studio Son Québec de CHOM, le studio d’André Perry logé
dans l’église anglicane, rue Amherst, où Serge a déjà enregistré son premier démo avec Guy Trépanier quelques années plus tôt, le trio donne un concert devant public. Doug
Pringle, D.J. de la station radiophonique, est abasourdi par
la prestation à laquelle il vient d’assister : « What the fuck is
going on ? This is very good ! » lance-t-il après avoir entendu
Harmonium.
Par contre, sur la rue Outremont, le bonheur n’est pas
le même et le couple que forment Lucie et Serge tente de
survivre à la vie de plus en plus active du musicien. Il est
toujours absent : soit il répète avec Louis et Michel, soit il
est en tournée en région. Lorsqu’il rentre chez lui, dans ce
grand appartement devenu une véritable commune, où il
n’est pas rare, au matin, de découvrir des étrangers dormant dans le salon, Serge a parfois l’impression d’étouffer.
Quand l’intimité se fait de plus en plus rare, il supplie Lucie de mettre tout ce monde à la porte, ou encore d’annuler un show . Lucie s’exécute, mais elle sait très bien que le
lendemain, elle devra recommencer : la vraie maîtresse de
Serge, c’est la musique. Cette passion qui l’anime, et cette
intensité qu’elle lui connaît sur scène, elle ne les retrouve
plus dans leur couple. Serge est en amour, oui, mais avec la
musique et son public.
Côté gestion, Yves Ladouceur a pris les choses en main.
À l’automne 1973, il fonde Concept-Québec, une société de
gestion artistique pour gérer les affaires du groupe. En octobre de la même année, il fonde Les Éditions/Productions
Harmonium, et il enregistre les œuvres d’Harmonium.
Cet automne-là, le groupe se produit à l’Évêché de l’hôtel Nelson, à l’Iroquois, au centre Paul-Sauvé, ainsi qu’au
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