Shogun
davantage.
— Comment, Sire ? Dites-le-moi et j’exaucerai vos
vœux.
— Laissez ce Dieu étranger de côté.
— Excusez-moi, Sire, dit-elle, tremblante. Mais ma
religion n’a jamais gêné ma loyauté à votre égard. Ma religion est toujours
restée mon problème personnel. Tout le temps. Vous ai-je manqué en quoi que ce
soit ?
— Pas encore, mais ça viendra.
— Dites-moi ce que je dois faire pour vous satisfaire.
— Les chrétiens peuvent devenir mes ennemis, neh ?
— Vos ennemis sont les miens, Sire.
— Les prêtres sont actuellement mes adversaires. Ils
peuvent donner aux chrétiens l’ordre de me faire la guerre.
— Non, Sire. C’est impossible. Ce sont des hommes de
paix.
— Et s’ils continuent à être mes adversaires ? Si
les chrétiens me font la guerre ?
— Vous ne devez et ne devrez jamais douter de ma
loyauté.
— Cet Anjin-san peut dire la vérité, et vos prêtres,
d’affreux mensonges.
— Il y a de bons et de mauvais prêtres, Sire. Mais vous
êtes mon seigneur et suzerain.
— Très bien, Mariko-san, dit Toranaga. J’accepte ce que
vous me dites. Je vous ordonne de devenir amie avec le barbare, d’apprendre
tout ce qu’il sait, de me rapporter tout ce qu’il dit, d’apprendre à penser
comme lui, de ne rien “ confesser ” à
vos prêtres, de les traiter avec suspicion, de me rapporter tout ce qu’ils vous
demandent ou vous disent. Votre Dieu doit trouver une place entre toutes ces
choses, quelque part, ou nulle part. »
Mariko repoussa une mèche de cheveux qui la gênait.
« Je peux faire tout ça, Sire, et rester chrétienne quand même vous le
jure.
— Très bien. Jurez-le par ce Dieu chrétien.
— Je le jure devant Dieu. »
La lumière tomba sur le petit crucifix en or qu’elle portait
autour du cou. Elle surprit le regard de Toranaga : « Vous… vous
préféreriez que je ne le porte pas, Sire ? Que je l’enlève ?
— Non, dit-il. Portez-le pour vous souvenir de votre
serment. »
Ils regardèrent tous la frégate. Toranaga sentit derrière
lui quelqu’un qui l’observait. Il se retourna, rencontra le regard dur, les
yeux bleus et glacés et y lut de la haine. Non, pas de la haine : de la
méfiance. Comment le barbare peut-il se méfier de moi ? pensa-t-il.
« Demandez à l’Anjin-san pourquoi il ne nous a pas dit
qu’il y avait plusieurs canons sur le bateau barbare ? Qu’il fallait
obtenir leur aide pour sortir de ce piège ? »
Mariko traduisit. « Il dit que… » Mariko hésita
puis poursuivit d’une traite : « Excusez-moi, mais il dit qu’il vaut
mieux qu’il se serve de sa propre tête, pour son profit personnel. »
Toranaga rit. « Remerciez-le pour sa tête. Elle nous a été bien utile.
J’espère qu’elle restera sur ses épaules. Dites-lui que nous sommes égaux à
présent.
— Non, nous ne le sommes pas, Toranaga-sama. Mais
rendez-moi mon bateau, mon équipage, et je nettoierai toutes les mers du globe.
De tous nos ennemis.
— Mariko-san, vous croyez qu’il veut dire par là, moi
et tous les autres, les Espagnols et les barbares du Sud ? » Il pos a la question avec légèreté.
La brise ramenait des mèches de cheveux dans ses yeux. Elle
les repoussa d’un geste fatigué. « Je ne sais pas. Je suis désolée.
Peut-être . Peut-être pas. Vous voulez que je le lui demande ? Je
suis désolée, mais il est un… Il est très étrange. J’ai peur de ne pas le
comprendre. Pas du tout.
— Nous avons le temps devant nous. Oui. Il nous ouvrira
son cœur, le moment venu. Il nous expliquera. »
Blackthorne avait vu la frégate larguer ses amarres
dès que l’escorte de Gris qui la gardait s’était éloignée. Il avait vu qu’on
mettait une chaloupe à la mer. Celle-ci avait rapidement déhalé la frégate de
son point d’amarrage le long de la jetée. À présent, elle était mouillée à
quelques encablures du rivage, en eau profonde et sûre. Une ancre légère avait
été jetée et le bateau se trouvait parallèle au rivage. Telle était la manœuvre
traditionnelle de tous les bateaux européens dans tous les ports étrangers ou
ennemis à l’approche d’un danger. Il savait aussi, bien qu’il n’y ait eu aucun
mouvement suspect sur le pont, que tous les canons devaient être amorcés, les
mousquets sortis, les boulets et la poudre prêts en abondance, les sabres
d’abordage hors des râteliers, les hommes armés dans les haubans. Les yeux
devaient
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