Shogun
S’il
n’arrivait pas à persuader le commandant de la frégate de leur venir en aide,
lui et ses hommes tueraient le commandant, leur pilote, les prêtres, puis se
barricaderaient dans l’une des cabines. Au même moment, la galère éperonnerait
la frégate par l’avant, comme l’Anjin-san l’avait suggéré, et ils essaieraient
de la pousser dans la tempête. Ils réussiraient à la prendre ou n’y
réussiraient pas. Mais la solution serait rapide d’un côté comme de l’autre.
« C’est un bon plan, Yabu-san, avait-il dit.
— Laissez-moi, je vous en prie, négocier à votre place.
— Ils ne seraient pas d’accord.
— Très bien, mais une fois que nous sommes sortis du
piège, expulsez tous les barbares du royaume. Si vous agissez ainsi, vous
gagnerez plus de daimyôs à votre cause que vous n’en perdrez.
— J’y réfléchirai », avait dit Toranaga, sachant
que c’était faux. Il lui fallait coûte que coûte avoir les daimyôs chrétiens Onoshi et Kiyama de son côté et donc les autres daimyôs, s’il
ne voulait pas être englouti. Pourquoi Yabu veut-il se rendre à bord de la
frégate ? Quelle trahison a-t-il en tête au cas où ils nous refuseraient
leur aide ?
« Sire, disait Alvito. Puis-je inviter l’Anjin-san à
nous accompagner ?
— Pourquoi ?
— Il me semble qu’il aimerait sûrement saluer son
collègue , l’Anjin Rodrigues. L’homme a une jambe cassée et
ne peut p as se déplacer. Il aimerait bien le revoir pour
le remercier de lui avoir sauvé la vie, si vous n’y voyez pas
d’inconvénient. »
Toranaga ne trouva pas de raison plausible pour empêcher
l’Anjin-san de s’y rendre. L’homme était sous sa protection. Il était donc
sacré.
« S’il le désire, très bien. Mariko-san,
accompagnez Tsukku-san. » Elle retourna en compagnie d’Alvito sur
le gaillard d’arrière. Il vit le couteau dans la ceinture
de Blackthorne. Jusqu’où est-il parvenu dans la confiance de Toranaga ? se demanda-t-il. « Bien joué, capitaine-pilote Blackthorne.
— Pourrissez en enfer, mon père ! lui répondit-il
affablement.
— C’est peut-être là que nous nous rencontrerons,
Anjin-san. Peut-être. Toranaga dit que vous pouvez monter à bord de la frégate.
— Ce sont ses ordres ?
— Si vous le désirez, a-t-il dit.
— Je n’en ai nullement envie.
— Rodrigues aimerait vous revoir et vous remercier.
— Transmettez-lui mes amitiés et dites-lui que je le
verrai en enfer. Ou ici.
— Sa jambe l’en empêche.
— Comment va-t-elle ?
— Elle est en voie de guérison. Grâce à vous et à Dieu,
il pourra marcher dans quelques semaines, mais il boitera.
— Dites-lui que je lui souhaite une bonne santé. Vous
feriez mieux de vous en aller. Vous perdez votre temps, mon père.
— Rodrigues aimerait tellement vous voir. Il y a du
rhum, un délicieux poulet rôti avec des pois frais, de la
sauce, du bon pain croustillant et du beurre chaud. Ce serait dommage, pilote,
de gaspiller de si bonnes choses.
— Que Dieu vous envoie en enfer !
— Il le fera quand ça lui chantera. Je ne vous dis que ce qui est. »
Le prêtre avait noté le changement soudain sur le visage de
Blackthorne. Il arrivait presque à voir ses glandes salivaires travailler et
sentait l’épouvantable contraction de cet estomac à l’agonie. Il est vraiment
simple de prendre un homme au piège, se dit-il. Il faut seulement connaître le
bon appât. « Au revoir, capitaine pilote ! »
Alvito tourna les talons et se dirigea vers l’échelle de
coupée. Blackthorne le suivit.
« Qu’est-ce qu’il y a, Ingeles ? lui
demanda Rodrigues.
— Où est la nourriture ? On
pourra parler ensuite. D’abord le repas que tu m’as promis. » Blackthorne
était debout tremblant, sur le pont principal.
« Suivez-moi, dit Alvito.
— Où l’emmenez-vous, mon père ?
— Au carré, bien sûr. Blackthorne peut manger pendant
que sire Toranaga et le commandant parlent ensemble.
— Non. Il peut manger dans ma cabine.
— Il est certainement plus facile d’aller trouver la
nourriture là où elle se trouve.
— Bosco ! Veillez à ce que le pilote ait
immédiatement à manger. Donnez-lui tout ce qu’il désire dans ma cabine Ingeles,
tu veux du rhum, du vin ou de la bière ?
— De la bière d’abord, du rhum ensuite.
— Bosco, veillez-y. Emmenez-le en bas. Écoutez-moi,
Pesaro. Donnez-lui quelques-uns de mes vêtements et des
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