Shogun
il
eut envie de l’embrasser, là, devant tout le monde.
« Ikimasho ! » dit-il en
sautant en selle.
Il fit signe au samouraï de partir. Son cheval
allait à l’amble. Mariko vint se ranger près de lui. Il se détendit dès qu’ils
furent seuls.
« Mariko.
— Hai ?
— Vous êtes belle et je vous aime,
dit-il en latin.
— Je vous remercie mais tout ce vin bu
hier au soir me donne l’impression de ne pas l’être ce matin. Quant à “aimer”,
c’est un mot chrétien.
— Vous êtes belle et chrétienne et le vin
ne peut vous faire de mal.
— Merci pour ce mensonge, Anjin-san. Oui,
merci.
— Non. C’est moi qui devrais vous
remercier.
— Oh ? Pourquoi ?
— Il ne faut jamais demander “pourquoi” ;
il n’y a pas de “pourquoi”. Je vous remercie très sincèrement.
— Si le vin et la viande vous rendent si
tendre et si galant, je vais devoir demander à votre concubine de remuer ciel
et terre pour vous en procurer chaque soir.
— Oui. J’aimerais avoir toujours la même
chose. Toujours.
— Vous avez l’air bien content ce matin.
Pourquoi ?
— À cause de vous. Vous savez bien pourquoi.
— Je ne sais rien, Anjin-san.
— Rien, dit-il en la raillant.
— Rien. »
Il en fut surpris.
« Pourquoi le mot “rien” fait-il
disparaître votre sourire ?
— Stupidité ! Stupidité ! J’ai
oublié qu’il fallait être prudent. Je voulais seulement en parler puisque nous
étions seuls. En vérité, pour en dire plus…
— Votre langage est bien sibyllin. Je ne
vous comprends pas. »
Il était stupéfait : « Vous ne
voulez pas en parler ? Pas du tout ?
— Parler de quoi, Anjin-san ?
— De ce qui s’est passé cette nuit.
— Je suis passée devant votre porte la
nuit dernière pendant que Koi, ma servante, était avec vous.
— Quoi ?
— Nous avons pensé, votre concubine et
moi-même, qu’elle pouvait être un bien joli cadeau pour vous. Elle vous a plu,
n’est-ce pas ? »
Blackthorne essayait de se remettre. La
servante de Mariko avait la même taille qu’elle mais était plus jeune. De toute
façon, elle n’était pas aussi belle et aussi blanche de peau. Oui, il faisait
nuit noire ; oui, sa tête était embrumée par les vapeurs d’alcool. Non, ce
n’était pas la servante.
« C’est impossible, dit-il.
— Qu’est-ce qui est impossible,
senhor ?
— Je vous en prie, ne vous moquez pas de
moi. Personne ne peut entendre. Je reconnais une présence, un parfum.
— Vous pensiez que c’était moi ? Oh,
non, Anjin-san, ce n’était pas moi. Je serais très honorée mais ça m’est
impossible… Aussi fort que puisse être mon désir. Oh, non, Anjin-san, ce
n’était pas moi. C’était Koi, ma servante. Je serais très honorée mais
j’appartiens à un autre, même s’il est mort.
— Oui, mais ce n’était pas votre
servante. » Il ravala sa colère. « N’en parlons plus.
— C’était ma servante, Anjin-san,
dit-elle pour le calmer. Nous l’avons aspergée de mon parfum et nous lui avons
donné pour instructions de ne pas parler. Seulement de toucher. Nous n’avons
pas un seul instant songé que vous croiriez que c’était moi ! Nous ne
voulions pas vous jouer un tour mais vous mettre à l’aise, sachant que les
discussions concernant les rencontres sur l’oreiller vous gênent encore. »
Elle le regardait de ses grands yeux innocents. « Elle vous a fait
plaisir, Anjin-san ? Vous lui avez fait plaisir ?
— Ironiser sur des problèmes importants
est parfois exempt d’humour.
— Les problèmes importants doivent
toujours être traités avec importance. Mais une servante, la nuit, avec un
homme est un problème de peu d’importance.
— Je ne considère pas ça sans importance.
— Je vous remercie. Je le pense aussi.
Mais une servante avec un homme, la nuit, est quelque chose de privé, sans
importance. C’est un cadeau qu’elle lui fait. C’est parfois un cadeau qu’il lui
fait. Rien de plus.
— Jamais ?
— Parfois. Mais ce problème intime de
rencontre sur l’oreiller n’a pas l’importance que vous voulez bien lui
accorder.
— Jamais ?
— Seulement quand un homme et une femme
ont des rapports physiques illégaux. Dans ce pays. »
Il remit son cheval au pas. Il comprit soudain
la raison de son refus.
« Veuillez m’excuser, dit-il. Oui, vous
avez raison. J’ai tout à fait tort. Je n’aurais jamais dû en parler. Je vous
prie de
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