Shogun
m’excuser.
— Pourquoi vous excuser ? De
quoi ? Dites-moi, Anjin-san, cette fille portait-elle un crucifix ?
— Non.
— Je le porte toujours.
— Un crucifix peut s’enlever. Ça ne
prouve rien. Vous auriez pu le lui prêter comme votre parfum.
— Une dernière chose : avez-vous
vraiment vu cette fille ? L’avez-vous au moins vue ?
— Bien sûr. Je vous en prie, n’en
parlons plus…
— La nuit était tout à fait noire. La
lune était cachée. La vérité, Anjin-san ! Repensez-y ! Avez-vous
vraiment vu cette fille ? »
Bien sûr que je l’ai vue, pensa-t-il, indigné.
Bon Dieu, penses-y ! Tu ne l’as pas vue. Ton esprit était embrumé. Ce pouvait être la servante
mais c’était Mariko parce que tu voulais que ce soit elle, parce que tu ne
voyais qu’elle dans ta tête, parce que tu croyais qu’elle te désirait autant
que toi tu la désirais. Tu es un imbécile, un sinistre imbécile !
« En vérité, non. En vérité, je devrais
vous présenter mes excuses. Comment faire pour obtenir votre pardon ?
— Il n’est pas besoin de vous excuser,
Anjin-san, répondit-elle calmement. Je vous l’ai déjà répété des centaines de
fois. Un homme ne s’excuse jamais, même quand il a tort. Vous n’avez pas
tort. » Elle le fixa d’un air moqueur. « Ma servante n’a pas besoin
d’excuses.
— Merci, dit-il en riant. Je me sens
grâce à vous un peu moins stupide.
— Les années s’envolent quand vous riez.
L’Anjin-san si sérieux redevient alors un petit garçon.
— J’ai trop longtemps navigué. Les marins
sont toujours sérieux. Ils ont appris à scruter la mer. Ils fouillent
constamment l’horizon dans l’attente du désastre.
— J’ai peur de la mer, dit-elle.
— Moi aussi. Un vieux pêcheur m’a dit une
fois : l’homme qui n’a pas peur de la mer se noiera, car il sortira le
jour où il n’aurait pas dû. Nous, nous vivons dans la peur de la mer. Nous ne
nous noyons que de temps à autre. » Il la regarda. « Mariko-san…
— Oui ?
— Vous m’aviez convaincu il y a quelques
minutes de… disons que j’étais convaincu. Je ne le suis plus. Où est la
vérité ? Je dois savoir.
— Les oreilles sont faites pour entendre.
C’était la servante, bien sûr.
— Cette servante… puis-je la faire venir
chaque fois que j’en aurai envie ?
— Bien sûr. Un homme ne le ferait pas.
— Parce que je peux être déçu, la
prochaine fois ?
— Probablement.
— Il est difficile de posséder puis de
perdre une servante, difficile de ne rien dire…
— La rencontre sur l’oreiller est un
plaisir. Plaisir du corps. Rien à dire.
— Mais comment puis-je dire à une
servante qu’elle est belle ? Que je l’aime ? Qu’elle me remplit
d’extase ?
— Il n’est pas convenable d’“aimer” une
servante de cette manière. Pas ici, Anjin-san. Cette passion n’est même pas
digne d’une épouse ou d’une concubine. Seule une personne comme Kiku-san, cette
courtisane si belle, mérite cet “amour”.
— Où puis-je trouver cette femme ?
— Au village. Ce serait un honneur pour
moi que d’être votre intermédiaire.
— Ma parole, vous le pensez
vraiment ?
— Bien sûr. Un homme a besoin de passions
de toutes sortes. Cette dame est digne d’une romance… si vous pouvez vous
l’offrir.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Elle est très chère.
— L’amour ne s’achète pas. Ce genre-là ne
vaut rien. L’“amour” n’a pas de prix. » Elle sourit. « Une rencontre
sur l’oreiller a toujours un prix. Ce n’est pas nécessairement de l’argent,
Anjin-san. Mais un homme paie, toujours, pour une rencontre sur l’oreiller.
D’une manière ou d’une autre. Le véritable amour, celui que nous appelons
devoir, est l’échange de deux âmes et n’a pas besoin de ce genre d’expression…
pas d’expression physique en dehors de la mort.
— Vous avez tort. J’aimerais pouvoir vous
montrer le monde tel qu’il est.
— Je connais le monde tel qu’il est et
tel qu’il sera toujours. Vous désirez encore cette méprisable servante ?
— Oui. Vous savez que je veux… »
Mariko rit gaiement. « Nous vous
l’enverrons au coucher du soleil. Nous vous l’amènerons, Fujiko et moi. Depuis
que vous êtes arrivé à Anjiro, vous avez bien changé.
— Pas tant que ça. Mais la nuit dernière,
j’ai fait un rêve. Ce rêve était la perfection même.
— Dieu est la
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