Shogun

C’est ça ?
    —  Ne soyez pas ridicule… ils ne veulent pas de
moi ce ne serait pas bien que ce soit moi qui y aille.
    — Pourquoi ça ? demanda Vinck.
    — Je suis le commandant. »
    Vinck dit ironiquement : « Avec tout le respect
que je vous dois, monsieur, vous pourriez peut-être vous porter volontaire.
C’est votre devoir.
    — Très bonne suggestion, dit Pieterzoon, j’appuie la
proposition. »
    Spillbergen se mit à donner des ordres et à fanfaronner,
mais il vit les yeux sans pitié qui le cernaient. Il se tut et fixa le sol,
plein de dégoût. Puis il dit : « Non. Ce… ce ne serait pas bien que
quelqu’un se portât volontaire. Ce… nous allons… nous allons tirer au sort. À
la courte paille. Nous allons mettre nos mains… nous allons nous mettre entre
les mains du Seigneur. Pilote, vous tiendrez les brins de paille.
    — Non. Je n’ai rien à voir là-dedans. J’ai dit que nous
allions nous battre.
    — Ils vont tous nous tuer. Vous avez entendu ce que le
samouraï a dit : vos vies sont épargnées, sauf une. » Spillbergen essuya son visage ruisselant de sueur ; un essaim de mouches
s’envola. « Donne-moi un peu d’eau. Il vaut mieux qu’un seul homme meure. » Van Nekk remplit la gourde et la tendit à
Spillbergen. « Nous sommes dix. Toi y compris, Paulus. Le compte
est bon.
    — Très bon… à moins que ça tombe sur toi. » Vinck
jeta un coup d’œil vers Blackthorne : « On est de taille à se battre contre ces épées ?
    — Irais-tu, résigné, à la torture si ça tombait sur
toi ?
    — Je sais pas. »
    Van Nekk dit : « On tire au sort. On laisse Dieu
décider.
    — Pauvre Dieu, dit Blackthorne, il a bon dos !
    —  On fait comme l’a dit Paulus.
C’est lui le commandant, dit Van Nekk.
    — On tire à la courte paille. C’est mieux pour la
majorité. Au vote. Tout le monde est pour ? »
    Ils avaient tous dit oui. Sauf Vinck. « Je suis avec le
pilote. Au diable vos putains de conneries de merde de brins de paille. »
    Ils étaient finalement arrivés à le convaincre. Spillbergen
coupa les dix brins de paille, puis en recoupa un en deux. Il répéta :
« Qui veut tirer le premier ?
    — Comment on va savoir si… si celui qui tire le mauvais
brin, le plus court, va bien s’en aller ? Comment on va savoir ? »
La voix de Maetsukker était blanche.
    « On en sait rien. On en est pas sûr. On devrait le
savoir, dit Croocq.
    — C’est facile, dit Jan Roper, jurons que nous le
faisons au nom de Dieu. En son nom. Mourir… mourir pour les autres , e n son nom. Comme ça, plus de problèmes. L’agneau béni de Dieu
ira directement vers la Gloire éternelle.
    — Allez, Vinck. Fais ce qu’a dit Roper.
    — D’accord – les lèvres de Vinck étaient sèches – si … si c’est moi… je jure par le Seigneur Dieu que je les suivrai
si… si je tire la courte paille. Au nom de Dieu. »
    Tous suivirent l’exemple. Maetsukker était si affolé qu’il
fallut lui souffler les mots avant de le laisser retomber dans le labyrinthe de
son cauchemar. Sonk tira le premier. Pieterzoon, Jan Roper, Salomon et Croocq
le suivirent. Spillbergen mourait à petit feu. Ils s’étaient tous mis d’accord
pour qu’il n’ait pas à choisir. Le dernier brin serait le sien. Ses chances
s’amenuisaient.
    Ginsel était épargné. Plus que quatre.
    Maetsukker pleurait. Il poussa Vinck de côté, prit un brin
de paille et n’en crut pas ses yeux en découvrant que ce n’était pas le bon.
    Le poing de Spillbergen tremblait et Croocq dut lui soutenir
le bras.
    Lequel vais-je prendre ? se demandait Van Nekk,
désespérément. Ô mon Dieu, venez-moi en aide. Il arrivait à peine à les
discerner à travers le brouillard de sa myopie. Si seulement j’y voyais quelque
chose, je saurais peut-être lequel prendre. Lequel ?
    Il tira et porta le brin à ses yeux pour lire clairement sa
condamnation, mais ce n’était pas le plus court.
    Vinck regarda ses doigts prendre l’avant-dernier brin qui
tomba à terre. Tout le monde vit que c’était le plus court. Spillbergen
desserra sa main nouée et s’évanouit.
    Ils observaient tous Vinck, fixement. Il les regarda
désespérément, sans les voir. Il haussa légèrement les épaules, esquissa un
sourire et écarta les mouches qui le gênaient, d’un geste absent. Puis il
s’effondra telle une masse. Ils lui firent de la place et s’écartèrent de lui
comme s’il avait eu la lèpre.