Shogun
qui-vive, fit signe à Blackthorne d’en
faire autant. Il entra. La pièce était carrée. Quarante pas de côté sur dix de
hauteur. Les tatamis étaient de première qualité. Quatre doigts d’épaisseur.
Toranaga était assis sur un coussin, sous un dais. Il réparait l’aile cassée
d’un faucon chaperonné, aussi délicatement que l’aurait fait un sculpteur
d’ivoire. Personne dans la pièce n’avait prêté attention à Hiro-matsu ou à
Blackthorne qui venait d’entrer et s’était mis à côté du vieil homme. Mais
Blackthorne, à la différence de Hiro-matsu , s’inclina
comme Rodrigues le lui avait appris, puis prenant sa respiration, s’assit en
tailleur et fixa Toranaga.
Naga avait déjà porté la main à son épée. Hiro-matsu, la
tête toujours inclinée, avait saisi la sienne. Blackthorne se sentait nu, mais
il s’était engagé. Il ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre. Rodrigues lui
avait dit : « Avec les Japs, tu dois te comporter comme un
roi. » Bien que ce ne fût pas agir comme un roi que d’agir ainsi, c’était
cependant suffisant.
Toranaga releva lentement la tête.
Une goutte de sueur perla sur la tempe de Blackthorne en
voyant que tout ce que Rodrigues lui avait dit des samouraïs semblait s’être
cristallisé dans ce seul homme. Il sentait les gouttes de sueur couler sur sa
joue, puis rouler dans son cou. Ses yeux ne cillaient pas. Son visage était
impassible. Le regard de Toranaga était tout aussi ferme.
Blackthorne sentit le pouvoir irrésistible de cet homme l’atteindre.
Il se força à compter lentement jusqu’à six, puis inclina la tête, salua à
nouveau et fit un petit sourire calme et détendu.
Toragana le regarda rapidement, le visage fermé, puis reprit
son travail. La tension décrut.
Yoshi Toranaga était un petit homme avec un gros ventre et
un grand nez. Ses sourcils étaient épais et sombres. Sa moustache et sa barbe,
éparse et poivre et sel. Les yeux lui mangeaient le visage. Il avait
cinquante-huit ans et était fort pour son âge. Il portait un kimono très simple,
un uniforme brun ordinaire, avec une ceinture de coton. Mais ses épées étaient
les meilleures du monde.
« Voilà, ma beauté, dit-il avec la tendresse d’un
amant. Te voilà de nouveau comme avant. » Il caressa avec une plume
l’oiseau chaperonné, perché sur la main gantée de l’écuyer. Le faucon frissonna
et se lissa les plumes de plaisir. « Il volera avant une semaine. »
L’écuyer salua et se retira.
Toranaga tourna les yeux vers les deux hommes, sur le pas de
la porte. « Bienvenue , “Main de Fer”, je suis heureux
de te voir, dit-il. – Voilà donc ton fameux barbare !
— Oui, Sire. » Hiro-matsu s’approcha, laissant ses
épées sur le seuil comme le voulait la coutume, mais Toranaga insista pour
qu’il les portât.
« Je me sentirais mal à l’aise si tu ne les avais pas à
la main », dit-il.
Hiro-matsu le remercia. Il resta cependant à cinq pas. La
coutume voulait qu’une personne armée ne puisse pas trop s’approcher de
Toranaga. Hiro-matsu devint grave. « Vous devriez quitter ce nid de guêpes
immédiatement et retourner à Yedo, dans votre château, là où vos vassaux
peuvent vous protéger. Nous sommes nus et sans défense, ici. Ishido pourrait à
n’importe quel moment…
— Je m’en irai. Dès que la réunion du Conseil des
régents aura eu lieu. »
Toranaga se retourna et fit signe au Portugais, tapi dans
son ombre.
« Voulez-vous bien traduire pour moi, mon ami ?
— Certainement, Sire. » Le prêtre s’avança,
s’agenouilla à la japonaise, près du dais. Son corps était aussi maigre que son
visage. Ses yeux étaient sombres et liquides. Tout en lui respirait la
sérénité. Il portait des tabis et un ample kimono qui semblait ne faire qu’un
avec son corps. Un rosaire et une croix dorée pendaient à sa ceinture. Il salua
Hiro-matsu en égal, puis jeta un coup d’œil amusé sur Blackthorne.
« Mon nom est Martin Alvito de la Compagnie de Jésus,
capitaine-pilote. Sire Toranaga désire que je traduise pour lui.
— Dites-lui d’abord que nous sommes ennemis et que…
— Chaque chose en son temps », l’interrompit
calmement le père Alvito qui ajouta : « Nous pouvons parler
portugais, espagnol ou, bien sûr, latin… comme vous voulez. »
Blackthorne n’avait pas remarqué le prêtre avant que
celui-ci ne s’avance. Le dais l’avait caché. Mais, prévenu par
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