Shogun
Bonne chance, l’Espagnol. »
Rodrigues lui fit un bras d’honneur. « Que Dieu soit
quand même avec toi », Blackthorne lui rendit son sourire. Il se retrouva
sur le pont et sa tête se mit à tourner devant Osaka, son immensité, son
incroyable fourmillement et l’énorme forteresse qui la dominait. Un palanquin
fermé le conduisit jusqu’à une grande maison où on lui fit prendre un bain. Il
mangea l’inévitable soupe de poisson, le poisson cru et bouilli, les légumes
marinés et l’eau mêlée d’herbe. On lui donna, à la place du gruau de blé, un
bol de riz. Il en avait déjà vu une fois, à Naples. C’était blanc et très
riche, mais sans aucun goût. Son estomac réclamait de la viande et du pain, du
bon pain frais croustillant, dégoulinant de beurre, et une platée de bœuf, des
gâteaux, des poulets, de la bière et des œufs.
Le lendemain, la servante vint le chercher. Les vêtements
que lui avait donnés Rodrigues étaient nettoyés. Elle le regarda s’habiller et
l’aida à mettre ses nouveaux habits. Dehors, une nouvelle paire de sandales
l’attendait. Ses bottes avaient disparu. Elle secoua la
tête et montra les espadrilles, puis le palanquin avec ses
rideaux. Un groupe de samouraïs l’entourait. Le chef lui fit signe de se
dépêcher et de monter.
Ils s’en allèrent immédiatement. Les rideaux étaient hermétiquement
clos. Au bout d’un temps très long, le palanquin s’arrêta.
« Tu n’auras pas peur », dit-il tout fort. Il
sortit.
La gigantesque muraille de pierre de la forteresse se
dressait devant lui. Un mur de neuf mètres d’épaisseur, garni de créneaux, de
bastions, d’ouvrages avancés. La porte était massive et bardée de fers. Elle
était ouverte. La herse de fer forgé était levée. Au-delà, un pont de bois,
vingt pas de large sur deux cents de long, franchissait la douve et menait à un
énorme pont-levis et à une autre porte encastrée dans un second mur, tout aussi
énorme.
Il y avait des centaines de samouraïs à l’uniforme gris
sombre. Chaque kimono avait cinq petits insignes circulaires : un sur
chaque bras, un sur chaque sein et un au milieu du dos. Ils
étaient bleus et ressemblaient à une fleur ou à des fleurs.
« Anjin-san ! »
Hiro-matsu était assis, très raide, dans un palanquin
ouvert, porté par quatre hommes en livrée. Son kimono était brun et strict,
retenu par une ceinture noire ; la même que les cinquante
samouraïs qui l’accompagnaient. Leurs kimonos portaient aussi les cinq
insignes, mais ceux-là étaient rouges, semblables à celui qui flottait au haut
du mât de la galère, à l’emblème de Toranaga. Ils tenaient des lances
étincelantes ornées de petits fanions.
Blackthorne s’inclina sans même réfléchir, subjugué par la
majesté de Hiro-matsu. Le vieil homme lui rendit son salut, formellement ;
sa longue épée reposait sur son ventre. Il lui fit signe de le suivre.
L’officier qui était à la porte s’avança. Un cérémonial
commença. L’officier lut le papier que lui tendit Hiro-matsu et, après
plusieurs courbettes et regards vers Blackthorne, les laissa passer sur le
pont. Une escorte de Gris les entourait.
À la porte suivante, nouveau cérémonial : vérification
des papiers. La route tourna ensuite à gauche. Elle descendait u ne large avenue bordée de maisons fortifiées, cachées par des murs plus ou
moins hauts, mais aisément défendables, puis se divisait en un labyrinthe
d’escaliers et de routes. Une autre porte. D’autres vérifications. Une autre
herse. Une autre douve, très large. De nouveaux tournants. Encore d’autres
tournants. Blackthorne, qui était fin observateur, avec une extraordinaire
mémoire et un incroyable sens de l’orientation finit par se perdre dans ce
dédale. Pendant tout ce temps, d’autres Gris, en nombre incalculable, les
fixaient du haut des remparts, des parapets, des créneaux et des bastions. Il y
en avait encore d’autres qui montaient la garde, s’entraînaient ou soignaient
les chevaux aux écuries. Des soldats, partout. Par milliers. Tous bien armés,
méticuleusement habillés.
Il se maudit de ne pas avoir été capable d’en obtenir plus
de Rodrigues. Concentre-toi. Cherche des indices. Qu’y a-t-il de spécial dans
cette forteresse ? C’est la plus grande ? Non. Il y a quelque chose
de différent. Quoi ? Les Gris sont-ils hostiles aux Bruns ? Je
n’arrive pas à le savoir. Ils sont tous si graves.
Blackthorne
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