Shogun

y a vingt ans, en 1580. L’Espagne a
conquis le Portugal. Nous sommes vraiment en guerre avec
l’Espagne. Ça fait trente ans que ça dure. »
    Blackthorne nota la surprise de Toranaga et son regard
inquisiteur vers Alvito, qui regardait sereinement au loin.
    « Vous dites que le Portugal fait partie de
l’Espagne ?
    — Oui, Sire. Un état vassal. L’Espagne a conquis le
Portugal et c’est maintenant, en fait, un seul et unique pays. Avec le même
roi. Les Portugais sont très utiles à l’Espagne dans la plus grande partie du
monde et leurs chefs sont traités comme de vils serviteurs dans l’empire
espagnol. »
    Il y eut un long silence. Puis Toranaga adressa directement
la parole au jésuite, qui sourit et répondit d’un trait.
    « Qu’a-t-il dit ? » demanda Blackthorne
sèchement.
    Le père Alvito ne répondit pas et continua de parler.
    Toranaga répondit directement à Blackthorne, d’une voix
aiguë et cruelle.
    « Ce que j’ai dit ne vous regarde pas. Quand je
désirerai que vous soyez au courant, je vous le ferai dire.
    — Je suis désolé, Sire. Je ne voulais pas être impoli.
Puis-je vous dire que nous sommes venus pacifiquement ?
    — Vous n’avez rien à me dire, pour le moment. Vous
tiendrez votre langue jusqu’à ce que je vous demande de répondre à mes questions. Compris ?
    — Oui, Sire. »
    Faute numéro un. Fais attention, se
dit-il.
    « Pourquoi êtes-vous en guerre avec l’Espagne ?
Avec le Portugal ?
    — Parce que l’Espagne veut conquérir le monde et que
nous, les Anglais, et nos alliés hollandais refusons d’être conquis. En partie
aussi à cause de nos religions.
    — Une guerre de religion ? Quelle est votre
religion ?
    — Je suis chrétien. Notre Église…
    — Les Portugais et les Espagnols sont chrétiens !
Vous avez dit que votre religion était différente. Quelle est votre
religion ?
    — Chrétienne. C’est difficile à expliquer en deux mots,
Sire. Elles ont toutes deux…
    — Pas besoin de faire vite, monsieur le pilote :
Soyez simplement précis. J’ai tout mon temps. Je suis très patient. Vous êtes
un homme cultivé. Vous n’êtes visiblement pas un paysan. Vous pouvez simplifier
ou compliquer, comme vous voulez. Tant que vous restez clair. Si vous vous
écartez du sujet, je vous y ramènerai. Vous disiez ?
    — Ma religion est chrétienne. Il existe deux religions
chrétiennes principales : la protestante et la catholique. La plupart des
Anglais sont protestants.
    — Vous adorez le même Dieu, la Sainte Vierge et
l’Enfant ?
    — Non, Sire. Pas de la même manière que les
catholiques. » Que veut-il savoir ? se demanda Blackthorne. Est-il
catholique ? Est-il contre les chrétiens ? N’a-t-il pas appelé le
jésuite « mon ami » ? Toranaga est-il un sympathisant de la
religion catholique ou sur le point de se convertir au catholicisme ?
    « Croyez-vous que Jésus est Dieu ?
    — Je crois en Dieu, dit-il prudemment.
    — N’éludez pas ma question. Croyez-vous que Jésus est
Dieu ? Oui ou non ?
    — On ne peut pas répondre à ce genre de question par un simple “oui” ou “non”. Il doit y avoir des nuances. Vous
ne pouvez pas savoir avec certitude tant que vous n’êtes pas mort. Oui, je
crois que Jésus est Dieu. Non, je n’en suis pas sûr, tant que je ne suis pas
mort.
    — Pourquoi avez-vous brisé la croix du prêtre, à votre
arrivée au Japon ?
    Blackthorne ne s’attendait pas à cette question. « Je…
je vous voulais montrer au daimyô Yabu que le jésuite – le père Sebastio
– le seul interprète présent, était mon ennemi, qu’il ne fallait pas lui faire
confiance, du moins à mon avis. Parce que j’étais sûr qu’il ne traduisait pas
de façon précise. Pas comme le fait le père Alvito en ce moment. Il nous a
accusés d’être des pirates, par exemple. Nous ne sommes pas des pirates. Nous
sommes venus pacifiquement.
    — Ah, oui ! Des pirates ! Je reviendrai à la
piraterie plus tard. Vous avez dit que vos deux sectes étaient chrétiennes, qu’elles
vénéraient toutes deux Jésus le Christ ? L’essence de son enseignement
n’est-elle pas de “s’aimer les uns les autres”  ?
    — Oui.
    — Alors, comment pouvez-vous être ennemis ?
    — Leur foi… leur version du christianisme est une
fausse interprétation des Écritures.
    —  Enfin, nous y voilà ! Vous
êtes donc en guerre pour une divergence d’opinions : qu’est-ce qui est
Dieu