Shogun
t’affole pas, se dit
Blackthorne en guise d’avertissement. Sois patient. Tu peux trouver une
solution. Tout ce que dit le prêtre n’est pas vrai. Il est dérangé du cerveau.
Qui ne le serait au bout de tant de jours ?
« Ces prisons sont nouvelles pour eux, senor, disait le
moine. Le Taikô les a créées, il y a quelques années seulement. C’est
ce qu’ils disent. Il n’y en avait pas avant lui. Quand, dans
l’ancien temps, un homme était pris, il avouait son crime et était
immédiatement exécuté.
— Et s’il n’avouait pas ?
— Tout le monde avoue. Le plus vite est le mieux, senor.
C’est la même chose dans notre monde, si vous êtes pris. »
Le vieux moine ferma les yeux, pria et se força à dormir.
Malgré tout son désir, Blackthorne ne put trouver le
sommeil. Sa peau tremblait sous les piqûres des poux. Son esprit était
terrifié. Il savait, avec une horrible précision, qu’il n’y avait aucun moyen
de s’échapper de cet endroit. Il se sentait impuissant et à l’article de la
mort. Au plus noir de la nuit, la terreur l’envahit et, pour la première fois,
il s’abandonna et se mit à pleurer.
« Oui, mon fils ? murmura le moine. Qu’est-ce
qu’il y a ?
— Rien. Rien », dit Blackthorne. Son cœur battait
la chamade. « Dormez.
— Pas besoin d’avoir peur. Nous sommes tous entre les
mains de Dieu », dit le moine qui se rendormit.
Cette terreur immense quitta Blackthorne. À sa place ne
subsista qu’une peur avec laquelle il était possible de vivre. Je finirai par
sortir d’ici, en essayant de croire à ce mensonge.
À l’aube, on leur apporta à boire et à manger. Blackthorne
se sentait plus fort. Stupide de se laisser aller comme ça, se dit-il. Stupide,
faible et dangereux. Ne refais pas ça sinon tu lâcheras, tu deviendras fou et
tu en mourras. Ils te mettront dans la rangée centrale et tu mourras. Sois
prudent et patient. Fais attention à toi.
« Comment vous sentez-vous, aujourd’hui, senor ?
— Très bien. Merci, mon père. Et vous ?
— Tout à fait bien, merci.
— Comment dites-vous ça en japonais ?
— Domo, genki desu.
— Domo, genki desu. Vous parliez hier, mon père,
des Vaisseaux noirs portugais. À quoi ressemblent-ils ? Vous en avez déjà
vu un ?
— Oui, senor. Ce sont les plus gros bateaux du monde,
presque deux mille tonneaux. Il faut au moins deux cents hommes pour les
manœuvrer. L’équipage plus les passagers, ça doit faire mille personnes à bord.
On m’a dit que ces galions naviguent vent arrière, mais avancent difficilement
quand ils ont le vent de travers.
— Ils ont combien de canons ?
— De vingt à trente répartis sur
trois ponts. »
Le père Domingo était heureux de répondre aux questions, de
parler et d’enseigner. Blackthorne était tout aussi heureux d’apprendre et
d’écouter. Les connaissances décousues du moine étaient inestimables.
« Non, senor, disait-il maintenant, domo veut
dire “merci” et dozo “s’il vous plaît”. L’eau se dit mizu. Rappelez- vous toujours que les Japonais attachent beaucoup de prix aux manières et à la courtoisie. Une fois, j’étais à Nagasaki…
Oh , s i seulement j’avais de l’encre, une plume et du
papier ! Je sais. Je vais dessiner les mots dans la poussière. Ça vous
aidera à les retenir…
— Domo », dit Blackthorne. Après avoir
mémorisé quelques mots de plus, il dit : « Ça fait combien de temps
que les Portugais sont ici ?
— Oh, le pays a été découvert en 1542, senor, l’année
de ma naissance. Il y avait trois hommes, Da Mota,
Peixoto, et je ne me souviens plus du troisième. Ils
étaient tous les trois des marchands portugais. Ils faisaient du commerce le
long des côtes chinoises dans une jonque et venaient d’un port du Siam. Le senor
est déjà allé au Siam ?
— Non.
— Il y a tant de choses à voir en Asie. Ces trois
hommes faisaient du commerce, mais ils furent pris dans une violente tempête,
un typhon, et furent écartés de leur route pour accoster enfin à Tanegashima,
dans l’île de Kyushu. C’était la première fois que des Européens mettaient le
pied sur le sol japonais et le commerce commença immédiatement. Quelques années
plus tard, François Xavier, l’un des membres fondateurs des jésuites, arriva
ici. C’était en 1549… Une mauvaise année pour le Japon, senor. L’un de nos
frères aurait dû arriver avant lui. On aurait alors hérité de ce
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