Shogun
royaume.
François Xavier mourut trois années plus tard en Chine,
abandonné et oublié… Ai-je raconté au senor qu’il y a déjà un jésuite à la cour
de l’empereur de Chine, dans une ville nommée Pékin ? Oh, vous devriez
aller à Manille, senor, et aux Philippines ! Nous avons quatre
cathédrales, trois mille conquistadores, six mille soldats japonais disséminés
dans toutes les îles et trois cents frères… »
Blackthorne emplissait son esprit de faits, de mots japonais
et de phrases. Il posa des questions sur la vie au Japon, sur les daimyôs et les samouraïs, sur le commerce, Nagasaki, la paix, la guerre, les jésuites,
les Franciscains et les Portugais en Asie, sur Manille et toujours plus de
questions sur le Vaisseau noir qui venait une fois par an de Macao.
Blackthorne resta pendant trois jours et trois nuits avec le
père Domingo, le questionna et l’écouta. Il apprit des tas de choses, dormit en
faisant des cauchemars, se réveilla pour poser d’autres questions, pour gagner
toujours plus de savoir.
Le quatrième jour, ils appelèrent son nom.
« Anjin-san ! »
1 5
Blackthorne se leva, dans un silence de mort.
« Votre confession, mon fils. Faites-la rapidement.
— Je… je ne pense pas… je… » Blackthorne s’aperçut
qu’il était en train de parler en anglais. Il se mordit les lèvres et s’en alla. Le moine se leva avec difficulté, lui saisit le
poignet et boitilla à ses côtés.
« Vite, senor. Je vais vous donner l’absolution.
Dépêchez-vous pour votre âme immortelle. Confessez-vous vite. Que le senor
avoue ses fautes passées et présentes, devant Dieu. »
Ils approchaient de la porte. Le moine s’accrochait à
Blackthorne, avec une force surprenante.
« Faites-la maintenant ! La Sainte Vierge vous
protégera ! »
Blackthorne libéra son bras et dit sèchement en
espagnol : « Allez au diable, mon père ! »
La porte se referma brutalement derrière lui.
Il respira profondément et le sang se remit à sourdre dans
ses veines.
La joie de vivre le reprit.
Plusieurs condamnés étaient dans la cour avec un homme de
justice et un groupe de samouraïs. L’homme de justice portait un kimono sombre,
une espèce de manteau dont les épaules rigides étaient semblables à des ailes,
et un petit chapeau noir. Il se tenait devant le premier prisonnier et lisait
un délicat parchemin. Une fois la lecture terminée, chaque détenu suivait ses
geôliers, vers les grandes portes de la cour. Blackthorne était le dernier à
passer. Au contraire des autres, on lui donna un pagne, un kimono de coton et
des getas.
Il avait pensé s’enfuir dès qu’il aurait franchi la porte,
mais comme il s’en approchait, les samouraïs le ceinturèrent très étroitement.
Un homme était déjà crucifié. Sa croix était dressée vers le
ciel. Blackthorne ralentit l’allure. Les samouraïs se firent plus pressants et
plus proches. Il pensa vaguement qu’il vaudrait mieux mourir maintenant, vite.
Il serra le poing pour sauter sur l’épée la plus proche. Mais il ne trouva
jamais d’occasion, car les samouraïs s’éloignaient et se dirigeaient vers le
périmètre de la ville et de la forteresse. Il attendit, respirant à peine. Il
voulait s’assurer du fait. Ils fendirent la foule qui recula et salua, puis ils
se retrouvèrent dans une rue. Il n’y avait plus de doutes.
Blackthorne se sentit renaître.
Quand il put parler, il dit : « Où
allons-nous ? » Il se sentait très léger. Ses pas touchaient à peine
le sol. Ses getas n’étaient pas inconfortables et l’effleurement irrégulier du
kimono pas déplaisant du tout. En fait, c’est tout à fait agréable, pensa-t-il.
Un peu léger, peut-être, mais idéal pour une journée comme celle-là.
« Bon Dieu ! Que c’est bon de parler anglais,
dit-il au samouraï. Je croyais être un homme mort. Je viens de perdre ma
huitième vie. Vous savez ça, vieux frères ? Il ne m’en reste plus qu’une à
gâcher. Aucune importance ! Les pilotes ont au moins dix vies. C’est ce qu’Alban Caradoc disait. » Les samouraïs
semblaient irrités.
Calme-toi, pensa-t-il. Ne les énerve pas plus qu’ils ne le
sont déjà. Il vit tout à coup que les samouraïs étaient des Gris. Les hommes
d’Ishido. Il avait demandé au père Alvito, juste avant qu’on lui ordonne de se
lever et qu’on l’emmène, le nom de l’homme qui s’était opposé à Toranaga.
Alvito lui avait répondu :
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