S'il est minuit dans le siècle
incolores aiguisés par le souci. (« Ils sont
capables de me foutre hors du parti pour ça, – et alors… ») Kostrov lui
sourit aimablement avec une furieuse envie de rire :
– Ouf, je m’attendais à trouver un Boukharine à la
quatrième page…
Son regard amusé s’arrêta sur la table de Pythagore, juste à
l’endroit où flamboyaient discrètement ces chiffres : 7 x 7 = 94.
– Voyez donc, camarade Driabkine…
L’autre, d’abord ne comprit pas ne sachant pas au juste
combien luisaient sept fois sept. Il calcula lentement : trois fois sept
vingt et un, deux fois vingt et un, quarante-deux et une fois sept, quarante-neuf…
94 ? Mikhaïl Ivanovitch dit d’un ton sarcastique :
– Sabotage caractérisé. Mais ça ne nous concerne pas. La
papeterie nous refile ses cahiers d’il y a quatre ans… Quant au sabotage de l’enseignement
des mathématiques, camarade Driabkine, je vais à l’instant rédiger mon rapport,
que vous ferez suivre. C’est nous qui prenons l’offensive, vous comprenez ?
Au vrai, Driabkine cessait tout à fait de comprendre, sauf
que l’affaire était mauvaise. Kostrov appelé par téléphone au Service spécial
fut reçu par le sous-chef, un malingre à lunettes, au crâne rasé, sanglé dans
sa tunique et ses courroies. Le malingre, manifestement stylé par Fédossenko, prit
les choses de très loin :
– Vous êtes trotskyste, Kostrov ?
–… (Hésitation d’un quart de seconde) Non…
– Curieux, vous ne fréquentez que les trotskystes…
–… J’ai fait ma soumission au C.C. le 18 avril dernier.
– Ah, vous êtes donc avec nous ?
–… (Hésitation d’un quart de seconde) Oui…
– Vous n’avez jamais appartenu à la droite ?
–… Non.
– Comment se fait-il que vous favorisez la propagande
illégale de la droite ? Kostrov vous ne paraissez pas à double face, mais
à triple face ? C’est très dangereux, je vous en préviens.
Kostrov expliqua que les douze cents cahiers, – l’emballage
clos, – la responsabilité des services d’expédition de la papeterie centrale le Flambeau, la circulaire de la Direction
régionale de l’Enseignement prescrivant d’exiger par télégramme livraison des
cahiers et de les répartir sur l’heure entre les écoles sous menace d’avoir à
répondre du sabotage du plan de l’Enseignement pour l’année… Kostrov expliquait
et il avait envie de rire ; car c’était puérilement idiot, toute cette
histoire ; mais plus encore, il commençait à avoir peur. La peur le prenait
à l’épigastre, douce pression étouffante, elle montait vers son cœur malade, elle
arrivait à sa gorge, elle troublait sa voix, elle montait, charriée par le sang,
dépassait la bouche, maladroite à former les mots, elle atteignit les yeux, le
front, elle écarta du front et des yeux de l’homme un invisible bandeau et il
vit.
Il vit que le Malingre avait une drôle de tête, de vivant et
de mort à la fois, des trous d’ombre en place des yeux, une bouche mince bordée
de noir, un thorax de squelette vide et blanc, sous l’uniforme.
Il vit que le Malingre se levait, lui faisait signe en ricanant,
et l’emmenait, par des corridors coupés à angles droits, à travers une
obscurité croissante, vers des escaliers de ciment, des carrefours gris sous la
terre, de singulières portes dans les parois d’un décor baigné de brumeuse
électricité.
Il vit que le Malingre le précédait d’un pas saccadé, boitant
alternativement du pied droit et du pied gauche, se retournant tous les trois
pas, sans ralentir, pour braquer sur lui les trous maintenant noirs de ses
orbites.
Le Malingre en uniforme banal, le revolver à la taille, – et
d’autres les suivaient, d’autres Malingres, du même pas saccadé, menant des
camarades au pas mou comme le sien, Varvara, Rodion, Ryjik, les cheveux blancs
dressés en flammèches immobiles, – d’autres.
Il vit une règle noire posée sur des papiers devant le
malingre sous-chef du Service spécial et il lut même à l’envers d’un texte
dactylographié :
Rapport sur les
interrogatoires de…
Le Malingre dit :
– Évidemment, votre version est plausible, mais tous
les saboteurs ont des versions plausibles… Ce qui importe à mes yeux c’est que
vous êtes avec nous. J’avais eu un doute là-dessus, à cause de vos
fréquentations. N’y changez rien, Mikhaïl Ivanovitch, nous en reparlerons. Je
suis tout disposé à vous faire confiance. Comment
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