Sir Nigel
à fleur
d’eau, une île ceinte de hautes falaises granitiques rougeâtres que
couronnaient des pentes gazonnées. L’île n’était pas grande ;
une deuxième, encore plus petite, se démasqua bientôt à côté
d’elle. Dennis, le maître marinier, hocha la tête.
– La plus petite, dit-il, s’appelle
Bréchou. Et la grande est l’île de Sercq. Si jamais je m’échoue un
jour, je prie tous les saints du paradis que ce ne soit pas sur
cette côte-là !
Knolles à son tour regarda les îles.
– Vous avez raison, dit-il. Ces rochers
ne me disent rien qui vaille : l’endroit est dangereux.
– Oh, c’est aux cœurs de rocher qui
habitent là que je pensais ! répondit le vieux marin. Nous
sommes bien en sécurité dans trois bons bateaux ; mais si nous
nous trouvions dans une petite embarcation, ils auraient déjà sorti
leurs navires pour nous attaquer.
– Qui sont donc ces gens, et comment
vivent-ils sur une île aussi minuscule et aussi balayée par le
vent ? interrogea Knolles.
– Ils ne vivent pas de l’île, messire,
mais de tout ce qu’ils peuvent attraper sur la mer qui l’entoure.
Ce sont les rebuts de l’humanité : gibiers de potence,
prisonniers évadés, esclaves et serfs qui ont pris la clé des
champs, assassins ou voleurs, ils ont échoué sur cette terre
isolée, et ils la défendent contre tout agresseur. J’en connais un
qui pourrait vous renseigner sur leurs mœurs, ayant été longtemps
leur captif.
Le marin désignait Black Simon, l’homme brun
de Norwich, qui était appuyé sur le rebord et qui considérait
lugubrement le rivage.
– Ho l’ami ! appela Knolles.
Qu’est-ce que j’apprends ? Est-il vrai que vous ayez été
prisonnier sur cette île ?
– C’est vrai, messire. Huit mois durant,
j’ai été le valet de l’homme qu’ils appellent ici leur roi. Son nom
est La Muette. Il est originaire de Jersey. Il n’existe pas sous le
ciel de Dieu quelqu’un que j’aie davantage envie de revoir.
– Vous aurait-il maltraité ?
Black Simon eut un sourire amer. Il retira son
justaucorps. Son dos sec et nerveux était zébré de cicatrices
blanches.
– Il a imprimé sur moi sa signature,
dit-il. Il jurait qu’il me briserait, que sa volonté viendrait à
bout de moi ; il a essayé. Mais la raison majeure pour
laquelle je voudrais le revoir est qu’il a perdu un pari et que
j’aimerais qu’il me paie le gage.
– Tiens, tiens ! fit Knolles. Quels
étaient donc ce pari et le montant de ce gage ?
– Presque rien, répondit Simon. Mais je
ne suis pas riche et rentrer dans ces fonds serait une bonne
affaire. Si par hasard nous nous étions arrêtés à cette île, je
vous aurais demandé l’autorisation de me rendre à terre et de
réclamer mon dû.
Sir Robert Knolles se mit à rire.
– Cette histoire taquine ma curiosité,
dit-il. Pour ce qui est de faire escale dans cette île, le maître
nautonier m’a affirmé que nous devions attendre un jour et une
nuit, car nous avons fatigué nos madriers. Mais, si vous vous
rendez à terre, qui me dit que vous serez revenu pour le départ, ou
que vous verrez ce roi dont vous me parlez ?
De la figure de Black Simon irradiait une joie
farouche.
– Si vous me donnez l’autorisation,
messire, je serai pour toujours votre débiteur. Pour le reste, je
connais cette île aussi bien que je connais les rues de
Norwich : vous le voyez, elle est petite et j’y ai vécu près
d’un an. Pour peu que je débarque à la nuit tombée, je parviendrai
jusqu’à la maison du roi et, s’il n’est pas mort ou ivre mort, je
saurai comment lui parler seul à seul : je suis au courant de
ses habitudes, de ses heures et des lieux qu’il fréquente. Je
voudrais seulement vous prier de me permettre d’emmener Aylward
l’archer, afin que j’aie un ami pour le cas où les choses
tourneraient mal.
Knolles réfléchit un moment.
– Vous me demandez beaucoup. Par toute la
vérité de Dieu, je vous déclare que vous et votre ami êtes deux
hommes que je ne suis pas disposé à perdre ! Je vous ai vus
l’un et l’autre aux prises avec les Espagnols, et je vous ai
appréciés. Mais, puisque nous devons stopper à cet endroit maudit,
faites ce que vous voudrez. Attention ! Si vous m’avez raconté
une histoire, ou si vous essayez de me jouer un tour pour me
quitter, alors, que Dieu soit votre ami le jour où nous nous
retrouverons, car un ami homme ne serait pas suffisant pour vous
sauver de ma
Weitere Kostenlose Bücher