Sir Nigel
le
Lion
, le
Grâce-Marie
et quatre autres vaisseaux, avait exécuté une
manœuvre pour prendre les Espagnols de flanc. Mais leur tentative
avait été éventée, et les Espagnols les attendirent avec dix
bateaux dont une de leurs plus grandes caraques, le
Santiago de
Compostela
. C’était sur ce dernier que le prince avait jeté
ses grappins, tentant de monter à l’abordage. Mais il avait les
flancs si hauts et il était si bien défendu que les assaillants,
incapables de franchir le bastingage, furent, après chaque
tentative, rejetés sur le pont au-dessous d’eux. Le flanc de la
caraque était garni d’arbalétriers qui canardaient d’en haut les
hommes entassés sur le
Lion
, à telle enseigne que les
cadavres s’y amoncelaient. Mais le plus dangereux de tous était un
géant à barbe noire, tapi au haut d’un mât, de sorte que personne
ne pouvait le voir. Il se dressait de temps à autre et, une grosse
massue de fer entre les mains, il la lançait avec une telle force
que rien ne pouvait l’arrêter. À plusieurs reprises, ces lourds
missiles crevèrent le pont pour s’écraser au fond même du navire,
brisant tout ce qui se trouvait sur leur chemin.
Le prince, revêtu de l’armure noire qui lui
avait valu son nom, dirigeait l’attaque de la poupe, lorsque le
nautonier courut vers lui, le visage pâle de frayeur.
– Seigneur, cria-t-il, le bateau ne peut
tenir contre de pareils coups. Quelques-uns encore, et nous
coulons. L’eau pénètre déjà de partout.
Le prince leva les yeux pour apercevoir la
sombre barbe et deux puissants bras bronzés qui se montraient de
nouveau. Un gros boulet, qui tomba en sifflant, ouvrit un grand
trou dans le pont et s’écroula dans la cale. Le maître marinier
s’arracha les cheveux.
– Un trou de plus ! hurla-t-il. Je
prie saint Léonard de nous soutenir aujourd’hui. Vingt de mes
marins s’affairent à écoper, mais l’eau les gagne de vitesse. Le
bateau ne tiendra plus une heure.
Le prince arracha une arbalète des mains de
l’un de ses suivants et ajusta l’Espagnol dans la mâture. Au moment
même où l’homme se tenait droit, avec une autre masse dans les
mains, le carreau l’atteignit en plein visage et son corps
s’effondra sur le bastingage, y restant pantelant. Un hurlement de
triomphe s’éleva du navire anglais, auquel répondit un grondement
de rage des Espagnols. Cependant un matelot traversa le
Lion
en courant et vint murmurer quelque chose à l’oreille
du maître nautonier, qui se tourna aussitôt vers le prince.
– C’est bien ce que j’ai dit, messire. Le
bateau coule sous nos pieds.
– Raison de plus pour nous emparer d’un
autre ! répondit le prince. Sir Henry Stokes, sir Thomas
Stourton, Williams, John de Clifton, notre voie nous est
tracée ! Faites avancer mon étendard, Thomas de Mohun. En
avant, et que la journée nous soit propice !
Dans un élan désespéré, une douzaine d’hommes,
le prince à leur tête, parvinrent à s’accrocher au bord du bateau
espagnol. Certains jouaient furieusement de l’épée pour s’ouvrir un
passage, d’autres, cramponnés d’une main au bastingage, hissaient
leurs amis qui se trouvaient au-dessous d’eux. Chaque minute qui
passait augmentait leur force : de vingt, ils devinrent
trente, et de trente, quarante, lorsque les nouveaux arrivants, se
penchant à leur tour pour aider ceux qui les suivaient, virent le
pont du navire au-dessous d’eux disparaître sous l’eau. Le bateau
du prince venait de sombrer.
À grand renfort de cris, les Espagnols se
tournèrent vers le petit groupe qui avait atteint leur pont. Mais
déjà le prince et ses hommes avaient enlevé la poupe et de cette
position surélevée repoussaient les vagues ennemies. Mais les
carreaux d’arbalète frappaient durement leurs rangs, et bientôt un
tiers d’entre eux couvrit le plancher. Formant ligne en travers du
pont, ils arrivaient à peine à tenir un front continu devant la
masse qui se pressait contre eux. Assaut après assaut, ils allaient
avoir le dessous car les Espagnols, endurcis par une récente guerre
désespérée contre les Maures, étaient de rudes combattants. Mais il
y eut soudain un remous de l’autre côté du bateau.
– Saint Georges ! Saint
Georges ! Knolles vient à la rescousse.
Une petite embarcation avait abordé la grande
caraque et une soixantaine d’hommes avaient bondi sur le pont du
Santiago
. Pris entre deux feux, les Espagnols s’enfuirent
en
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