Sir Nigel
sur les
îles des mers de la Grèce. Il n’est plus un port ni une forteresse
en Palestine où flotte encore le pavillon à la croix. Où donc,
alors, se trouve notre allié ?
– Sire, vous soulevez un débat qui se
situe au-delà de la question de la Terre sainte, bien que cette
dernière puisse servir de parfait exemple. C’est la question de
tous les péchés, de toutes les souffrances, de toutes les
injustices… Elle devrait passer sans la pluie de feu et les éclairs
du Sinaï. La sagesse de Dieu s’étend bien au-delà de votre
entendement.
Le roi haussa les épaules.
– Que voilà une réponse aisée,
monseigneur l’Évêque. Vous êtes un prince de l’Église. Or, il
siérait peu à un prince temporel de ne pouvoir faire meilleure
réponse sur les affaires concernant son royaume.
– Il y a d’autres considérations dont il
nous faut tenir compte, très noble sire. Il est vrai que les
croisades étaient de saintes entreprises. Mais est-il bien certain
que les croisés méritaient cette bénédiction céleste que vous
réclamez pour eux ? N’ai-je point ouï dire que leur camp était
le plus dissolu qui fût ?
– Des camps sont des camps partout de par
le monde et vous ne pouvez, en quelques minutes, faire un saint
d’un archer. Mais Louis, le saint, était un croisé selon votre
goût. Cependant ses hommes périrent à Mansourah et lui-même mourut
à Tunis.
– Souvenez-vous aussi que ce bas monde
n’est que l’antichambre de l’autre, répondit le prélat. C’est par
la souffrance et les tribulations que l’âme est purifiée et le vrai
vainqueur peut être celui qui, par une endurance patiente de sa
mauvaise fortune, mérite le bonheur à venir.
– Si telle est la signification de la
bénédiction de l’Église, j’espère alors qu’il faudra longtemps
avant qu’elle ne descende sur nos étendards en France, répondit le
roi. Mais il me semble que, lorsqu’on se trouve en route sur un bon
cheval avec un bon faucon, il est d’autres sujets de conversation
que la théologie. Revenons à nos oiseaux, Évêque, sans quoi Raoul,
le fauconnier, s’en ira vous interrompre dans votre cathédrale pour
se venger.
Et aussitôt la conversation revint sur les
mystères des bois et des rivières, sur les faucons aux yeux sombres
et les faucons aux yeux jaunes, sur les faucons en vol et les
faucons tenus sur le poing. L’évêque était aussi familier des
arcanes de la fauconnerie que le roi lui-même. Et les autres
sourirent en les entendant tous deux discuter de questions
techniques et controversées : à savoir si les fauconneaux
élevés en muette pouvaient jamais égaler les oiseaux capturés
adultes ; quand il convenait de commencer à donner l’escape au
faucon : et combien de temps il fallait le laisser en vol
avant de le réclamer.
Le monarque et le prélat étaient toujours
plongés dans leur savante discussion, l’évêque parlant avec une
liberté et une assurance dont il n’aurait jamais osé user dans les
affaires de l’Église ou de l’État car, de tous temps, il n’y eut
jamais meilleur conciliateur que l’exercice du corps. Soudain
cependant, le jeune prince, dont les yeux perçants avaient balayé
le ciel bleu, poussa un cri particulier et tira aussitôt sur les
rênes de son palefroi, pointant en même temps dans les airs.
– Un héron ! cria-t-il. Un héron en
vol.
Pour que héronner soit un plaisir parfait, il
ne faut point que le héron soit levé sur le terrain où il a coutume
de se nourrir, parce qu’il est alors alourdi par son repas et n’a
pas le temps de reprendre son vol normal avant que le faucon, plus
vif, fonde sur lui, mais il faut le découvrir en vol, allant d’un
point à un autre, probablement d’une rivière à la héronnière. Ainsi
donc, surprendre l’oiseau au passage était le prélude d’une belle
chasse. L’objet que le prince avait désigné du doigt n’était encore
qu’un point noir au sud, mais ses yeux perçants ne l’avaient point
trompé, car le roi et l’évêque reconnurent avec lui qu’il
s’agissait d’un héron, qui grandissait de minute en minute, à
mesure qu’il se rapprochait d’eux.
– Jetez-le ! Lancez le gerfaut,
sire ! cria l’évêque.
– Non, il est trop loin encore. Il
s’échapperait.
– Maintenant, sire, maintenant !
cria le jeune prince, car le grand oiseau, ayant le vent dans le
dos, balayait le ciel de ses larges ailes.
Le roi poussa un sifflement aigu et
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