Sir Nigel
lui pesait la pauvreté de sa mise.
– Ah non, dit-il gentiment, pareil
artisan est digne de meilleurs outils. L’armurier de la cour
veillera, Nigel, à ce que, la prochaine fois que votre casque sera
emporté, votre tête soit à l’intérieur.
Nigel, écarlate jusqu’à la racine de ses
cheveux de lin, balbutia quelques paroles de remerciement.
Cependant, John Chandos avait une proposition à faire et son œil
pétilla quand il l’exprima :
– Mais, monseigneur, je crois que votre
générosité est bien inutile dans le présent cas. Il est une
ancienne loi de chevalerie disant que, lorsque deux chevaliers
entrent en joute, si l’un d’eux, soit par maladresse, soit par
malheur rompt le combat, son harnois devient la propriété de celui
qui est resté en lice. Puisqu’il en est ainsi, il me semble, sir
Hubert de Burgh, que votre fine armure de Milan et votre casque en
acier de Bordeaux que vous portiez pour venir à Tilford devraient
rester aux mains de notre jeune hôte comme souvenirs de notre
visite.
La suggestion souleva des rires et
approbations auxquels tous se joignirent à l’exception de Sir
Hubert qui, rouge de colère, fixa un regard sinistre sur le visage
souriant et malicieux de Chandos.
– J’ai prévenu que je ne participerais
point à ce jeu ridicule et j’ignore tout de cette loi, dit-il. Et
vous savez très bien, John, que, si vous voulez une passe d’armes,
soit au javelot, soit à l’épée, ou encore à l’un et à l’autre, mais
où un seul se relève, vous n’avez pas loin à aller.
– Allons, allons, vous à cheval ?
Vous feriez mieux de rester à pied, Hubert, répondit Chandos. Je
sais qu’ainsi au moins je ne verrai point votre dos ainsi que nous
l’avons vu aujourd’hui. Dites ce que vous voulez, mais votre cheval
vous a joué un bien mauvais tour et je réclame votre harnois pour
Nigel Loring.
– Vous avez la langue trop longue, John,
et je suis fatigué de l’entendre, fit Sir Hubert dont la moustache
frémissait sur la face rougeaude. Si vous réclamez mon harnois,
venez donc le prendre vous-même ! Et s’il y a une lune pleine
dans le ciel ce soir, vous pourrez essayer lorsque la table sera
ôtée.
– Que non, mes bons seigneurs, s’écria le
roi en souriant à l’un puis à l’autre. La chose ne doit point aller
plus loin. Servez-vous un gobelet de vin de Gascogne. Et vous
aussi, Hubert ! Et maintenant portez une santé en bons et
loyaux compagnons qui ne se battent que pour leur roi ! Nous
ne pouvons nous passer ni de l’un ni de l’autre aussi longtemps
qu’il y a, au-delà des mers, du travail pour les cœurs vaillants.
Quant au harnois, John Chandos dit vrai lorsqu’il s’agit d’une
joute en lice. Mais nous estimons que pareille règle ne s’applique
guère ici, pour une simple passe d’armes en un passage public. En
revanche, dans le cas de votre écuyer, maître Manny, il n’est point
douteux qu’il ait perdu son harnois.
– Voilà qui est bien dur pour moi,
monseigneur, fit Walter Manny, car c’est un pauvre garçon qui eut
bien des peines à s’équiper pour les guerres. Cependant, il en sera
fait ainsi que vous l’ordonnez. Ainsi donc, si vous voulez venir me
voir ce matin, messire Loring, le harnois de John Widdicombe vous
sera remis.
– Alors, avec la permission du roi, je le
lui rendrai, bredouilla Nigel, troublé. Car je préférerais ne
jamais aller en guerre que d’enlever à un brave homme son unique
armure à plates.
– Voilà qui est parler dans l’esprit de
votre père, Nigel ! s’écria le roi. Par la sainte Croix !
Nigel, vous me plaisez. Laissez-moi l’affaire en main. Mais je
m’étonne que Sir Aymery le Lombard ne soit point encore venu de
Windsor.
Depuis son arrivée à Tilford, le roi Édouard à
plusieurs reprises s’était inquiété de savoir si Sir Aymery n’était
point là encore et si l’on n’avait pas de nouvelles de lui, à tel
point que les courtisans se regardaient avec étonnement. Ils
connaissaient en effet Aymery comme un fameux mercenaire italien
récemment appointé en tant que gouverneur de Calais. Ce soudain
rappel de la part du roi pouvait bien signifier une reprise de la
guerre avec la France, ce qui était le vœu le plus sincère de tous
ces soldats. Par deux fois déjà, le roi avait interrompu son repas
pour rester, la tête penchée, le gobelet à la main, écoutant
attentivement lorsqu’on entendait au-dehors un bruit de cheval
lancé au galop. La
Weitere Kostenlose Bücher