Sir Nigel
est considéré comme un péché que de
chevaucher de nuit avec un homme à ses côtés, mais tu ne sembles
point y attacher d’importance. Regarde donc dans ton œil, brave
sœur, avant que de vouloir retirer la poussière de celui d’une
autre.
Mary demeura irrésolue et grandement troublée,
dominant son orgueil et sa colère, hésitant sur la meilleure façon
de traiter avec cet esprit fort.
– Ce n’est point le moment de prononcer
d’amères paroles, chère sœur, dit-elle en posant de nouveau la main
sur la manche de sa cadette. Tout ce que tu viens de dire peut être
vrai. Il fut un temps, en effet, où cet homme était notre ami à
toutes deux, et je sais tout aussi bien que toi le pouvoir qu’il a
de se gagner un cœur de femme. Mais je le connais maintenant, et tu
ne le connais point. Je sais le mal qu’il a fait, le déshonneur
qu’il a répandu, le parjure qui souille son âme, la confiance
trahie, la promesse reniée… je sais tout cela. Devrai-je donc voir
ma propre sœur tourner dans ce vieux piège ? S’est-il déjà
refermé sur toi, mon enfant ? Est-il vrai que je sois arrivée
trop tard ? Pour l’amour de Dieu ! dis-moi, Édith, que
cela n’est pas.
Édith arracha sa manche de la main de sa sœur
et fit deux pas rapides au long de la table. Paul de la Fosse
restait assis en silence, les yeux fixés sur Nigel. Édith lui posa
la main sur l’épaule.
– Voici l’homme que j’aime et le seul que
j’aie jamais aimé. C’est mon mari.
À ces mots, Mary poussa un cri de joie.
– Vraiment ? Alors, tout est bien et
Dieu veillera au reste ! Si vous êtes mari et femme devant
l’autel, pourquoi dès lors devrais-je, moi ou tout autre, me
dresser entre vous ? Dis-moi qu’il en est bien ainsi et je
retourne sur-le-champ rendre le bonheur à notre père.
Édith fit la moue, comme un enfant gâté.
– Nous sommes mari et femme aux yeux de
Dieu. Bientôt nous serons mariés devant le monde. Il nous faut
attendre lundi jusqu’à ce que le frère de Paul, qui est prêtre à
Saint-Albans, arrive pour nous unir. Un messager est déjà parti et
il viendra, n’est-ce pas, mon cher amour ?
– Il viendra, répondit le maître de
Shalford, les yeux toujours fixés sur Nigel silencieux.
– C’est un mensonge, il ne viendra
point ! fit une voix venant de la porte.
C’était le prêtre qui avait suivi les autres
jusqu’au seuil.
– Il ne viendra point, répéta-t-il en
entrant dans la pièce. Mon enfant, ma fille, écoute la voix de
celui qui est assez vieux pour être ton père. Ce mensonge a déjà
servi et grâce à lui cet homme a déshonoré bien d’autres femmes. Il
n’a point de frère à Saint-Albans. Je connais bien ses frères et il
n’y a point de prêtre parmi eux. Avant lundi, quand il sera trop
tard, vous aurez découvert la vérité, comme tant d’autres l’ont
fait avant vous. Ne vous fiez point à lui et venez avec nous.
Paul de la Fosse jeta un sourire à Édith et
lui dit en lui tapotant l’épaule :
– Parlez-leur, Édith.
Les yeux de la jeune fille eurent un éclair de
mépris tandis qu’elle les regardait à tour de rôle ; la femme,
le jeune homme et le prêtre.
– Je n’ai qu’un mot à leur dire :
qu’ils s’en aillent et cessent de nous importuner. Ne suis-je point
libre ? N’ai-je point dit que c’était le seul homme que
j’eusse jamais aimé ? Et je l’aime depuis longtemps. Il
l’ignorait et, de désespoir, s’est tourné vers une autre. Mais
maintenant il sait tout et jamais plus le doute ne surgira entre
nous. C’est pourquoi je resterai à Shalford et ne retournerai à
Cosford qu’au bras de mon époux. Me croyez-vous donc assez crédule
pour ajouter foi à toutes les balivernes que vous me contez ?
Est-il si difficile pour une femme jalouse et un prêtre errant de
se mettre d’accord sur un mensonge ? Non, non, Mary, tu peux
t’en retourner en emmenant ton chevalier et ton prêtre car, moi, je
reste ici, fidèle à mon amour et confiante en son honneur.
– Sur ma foi, voilà qui est bien parlé,
mon bel oiseau doré ! fit le petit maître de Shalford. Mais
permettez-moi d’ajouter mon mot à tout ce qui vient d’être dit.
Dans votre virulente diatribe, vous n’avez voulu m’accorder aucune
qualité, lady Mary, et cependant vous me concéderez que j’ai
beaucoup de patience puisque je n’ai point fait lâcher mes chiens
sur vos amis qui sont venus s’interposer entre moi et mon
Weitere Kostenlose Bücher