Souvenir d'un officier de la grande armée
trois lieues d’Ettlingen. (Dans les débuts, je puis citer mal, parce qu’alors je ne pouvais pas bien entendre la langue.) On était nourri chez l’habitant, suivant des arrangements pris avec les maisons de Bade, de Wurtemberg et de Bavière. Il y eut un village, situé sur la rivière d’Ems, à une petite lieue d’Ensweihingen, en Souabe, où tous les habitants étaient rassemblés sur la place, nous attendant, et quand nous arrivâmes, chaque paysan emmena le nombre de soldats qu’il pouvait, pour les loger et les nourrir parfaitement. Depuis le passage du Rhin jusqu’au Danube, nous avons trouvé beaucoup de fruits ; les soldats s’en trouvaient très bien. La fraîcheur et l’acidité des pommes tempéraient la soif ardente qui nous consumait. Pas de vin, peu de bière et mauvaise.
Le 7, à Nordingen, dans la nuit, on battit la marche de nuit du régiment (sorte de batterie ou de générale particulière à chaque corps). En peu de temps, le régiment fut sac au dos et sous les armes. C’était pour partir immédiatement pour Donawerth. Cette intempestive alerte nous priva de quelques heures de bon sommeil, dont nous avions bien besoin. Mais les événements militaires se développaient rapidement et nécessitaient le rapprochement des troupes sur le théâtre de la guerre. On s’était battu le 7 sur le Tech, pour prendre le pont et marcher sur Augsbourg. Le 8, nous arrivions à Donawerth. Dans la soirée, nous entendîmes le canon : c’était la victoire de Wertingen, que les maréchaux Lannes et Murat remportaient sur les Autrichiens du général Auttemberg.
Le 9, nous passâmes le Danube à Donawerth, sur le pont que l’ennemi, en se retirant, n’avait pas eu le temps de couper. À peu de distance de ce fleuve, dans l’immense et riche plaine que nous traversions pour nous rendre à Augsbourg, le lieutenant de la compagnie, avec qui je causais souvent, me fit voir l’emplacement où l’on avait élevé un monument à la mémoire du brave La Tour d’Auvergne, premier grenadier de la République, tué d’un coup de lance au combat de Neubourg, le 27 juin 1800. La nouvelle de l’occupation d’Augsbourg n’étant pas encore parvenue, on nous fit bivouaquer près d’une heure, pour le malheur des houblonnières des environs, dont les perches servirent à nous chauffer et à nous sécher.
Les 10 et 11 octobre, nous avons séjourné à Augsbourg. Pendant ces deux journées qui furent détestables par la quantité de neige et de pluie qui tomba, l’armée acheva son grand mouvement de conversion autour d’Ulm, avons-nous su depuis, et coupa définitivement la retraite à l’ennemi. L’Empereur arriva le 10.
Le 12, nous partîmes d’Augsbourg dans l’après-midi, et, peu d’heures après, nous étions dans les ténèbres. Nous marchions difficilement, à cause de la boue qui était gluante, tenace dans ces terres noires et fortes. Déjà embarrassé de m’en tirer, j’eus la douleur de sentir qu’un de mes sous-pieds venait de se casser. Dans l’impossibilité où j’étais de pouvoir continuer la marche, je m’arrêtai pour en remettre un autre, mais pendant ce temps-là arrivent l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie de la garde (mon bataillon était d’avant-garde). Je fus forcé d’attendre que toute cette masse de troupes fût passée pour ne pas être écrasé, bousculé, perdu dans cette foule, perdue elle-même dans la boue, qui était horriblement triturée, délayée. Cela fut long, parce qu’on était beaucoup. Enfin, je me jetai dans un peloton de nos gens. Avec eux, j’arrivai au gîte et couchai dans un chenil qui était donné pour corps de garde.
Le lendemain, 13, dès le jour, je voulus rejoindre ma compagnie, mais cela me fut impossible, elle était trop en avant sur la route, et la route elle-même était trop encombrée de troupes. Je continuai de marcher avec le détachement de la veille. Les chemins étaient encore plus impraticables, par la masse énorme de neige qui était tombée toute la nuit.
Arrivé à Guntzbourg, à la nuit close, je demandai et cherchai ma compagnie. Impossible de la trouver, elle était sur le bord du Danube. La ville était sens dessus dessous, les maisons pleines de morts, de blessés, de malades et de vivants, pressés, serrés, entassés. Ne pouvant trouver à me mettre à l’abri en aucun lieu, je me réfugiai à l’hôtel de ville, où je fus assez heureux pour trouver un coin près d’un fourneau bien
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