Souvenir d'un officier de la grande armée
chaud, où je pus me réchauffer, me sécher et mettre ma tête à couvert des intempéries de la saison. Je me résignais à mon triste sort, quoique je fusse sans vivres et sans camarades pour me consoler, et entouré de soldats autrichiens blessés et encore plus malheureux que moi. Séparé de ma compagnie, qui était ma famille militaire, je trouvais ma situation très déplorable.
Au jour, je me mis de nouveau en quête de mes compagnons d’armes. Enfin je les découvris sur les bords de la rive droite du Danube, près du pont et dans un bon bivouac, avec des vivres en abondance. Après avoir rendu compte des motifs de mon absence, je trouvai chez tous mes amis, de douces preuves de leur amitié, et particulièrement chez un vieux chasseur de mon pays, ancien grenadier d’Égypte, blessé sur la brèche de Saint Jean d’Acre, que mon absence avait bien inquiété. Il me fit part de sa provision de vivres, qu’il avait mise en réserve pour moi. À la manière dont je fis honneur au déjeuner qu’il m’offrait, il jugea des privations que j’avais éprouvées dans cette triste circonstance. Des larmes de joie coulaient sur ses joues fatiguées de me voir manger de si bon appétit. Ah ! c’est une triste chose que d’être perdu au milieu d’une armée qui manœuvre.
Le soir du 14, la compagnie passa sur la rive gauche du Danube, pour garder la tête du pont qui avait été brûlé par les Autrichiens, mais sur lequel on pouvait passer par le moyen de quelques planches.
Pendant deux heures, je fus en faction sur bord d’un ravin, sur l’autre rive, duquel était une sentinelle ennemie. Nous nous observâmes mutuellement, sans tirer, pour ne pas troubler le repos de la partie de l’armée qui se trouvait dans les environs.
Vers le milieu de la nuit, nous repassâmes le Danube, et toute l’infanterie de la garde remonta la rive droite, à peu près une lieue, pour prendre position sur une hauteur, où nous passâmes le reste de la nuit, sans feu et sans abri, sous une bise hyperboréenne.
Ce fut là, pour la première fois, que je fus témoin d’un échantillon des horreurs de la guerre. Comme le froid était extrêmement vif, on se détacha pour se procurer du bois, afin d’établir des bivouacs. Le village où l’on allait le prendre fut, dans un instant, entièrement dévasté ; on ne se contentait pas d’enlever le bois, on emportait les meubles, les instruments aratoires, les effets et le linge. Les chefs s’aperçurent, mais trop tard, de ce torrent dévastateur. Il fut donné des ordres sévères qui condamnaient à la peine de mort tous les soldats qui seraient trouvés avec des effets, linge, etc. Si cet ordre eût été exécuté dans tout le courant de la campagne, toute la Grande Armée eut été fusillée. Plusieurs subirent cette peine.
Ce spectacle, nouveau pour moi, me déchirait le cœur ; je versai des larmes sur le sort de ces pauvres habitants qui, dans un clin d’œil, perdaient toutes leurs ressources. Mais ce que j’ai eu l’occasion de voir, depuis cette époque, me les a fait trouver encore heureux dans leur malheur. Comme j’étais nouveau dans l’art militaire, tout ce qui contrariait les principes que j’avais reçus me surprenait ; mais j’ai eu le temps de m’y accoutumer par la suite tant par satiété que par besoin. Un chasseur vélite étant allé comme les autres au village pour quérir du bois, trouva une oie qu’on avait tuée. Sans défiance, comme un nouveau, il la rapporta au camp et fut rencontré par M. Grosse, le colonel major de notre régiment, qui, après lui avoir donné quelques coups de canne, ordonna qu’il resterait quinze jours à l’avant-garde et que l’oie serait attachée à son col, jusqu’à ce qu’elle fut en putréfaction. Le jeune homme eut beau protester de son innocence, le jugement fut exécuté, plus pour donner l’exemple aux autres que pour le punir.
Toute la journée nous entendîmes la canonnade et la fusillade dans la direction d’Ulm. C’était le beau succès d’Elchingen, que le corps du maréchal Ney (6 ème ) remportait, après un combat des plus opiniâtres.
15 octobre. – Au jour, le régiment partit de Guntzbourg et se fut mettre en bataille, à une petite lieue de cette ville, pour garder un pont du Danube. On avait placé plusieurs pièces de canon, pour empêcher le passage, au cas que l’ennemi voulût tenter une trouée. Notre compagnie était la plus avancée et la première à
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