Spartacus
Lucanie et de l’Apulie, comme l’indique Salluste. Il est donc possible de placer ces bains de Salines en Apulie. Si l’on admet cette hypothèse, il s’agit d’un funeste présage. Même si aucun de nos auteurs ne soulève cette coïncidence, c’est à proximité de ce lieu qu’Hannibal a écrasé l’armée romaine à la fameuse bataille de Cannes, en 216 av. J.-C., le long de la rivière Aufide. Ce sinistre précédent ne semble pas inquiéter Cossinius, qui se croit en sécurité au point de profiter des bains qu’offre le pays. Mal lui en prend, car il est totalement surpris par l’attaque de Spartacus. Au moment où son camp est pris d’assaut, Salluste nous dit qu’il « se baigne dans une fontaine voisine », manque d’être capturé et doit s’enfuir. Plutarque confirme cette déroute : « Cossinius, avec des forces importantes, fut surpris par Spartacus alors qu’il se baignait à Salinae et faillit être enlevé par lui. Il s’enfuit de justesse et difficilement. Spartacus s’empara aussitôt de ses bagages. » Contrairement à ce que ferait une bande de brigands, Spartacus ne laisse pas ses hommes se jeter avidement sur les bagages des Romains. Remettant les joies du pillage à plus tard, il empêche la fuite de Cossinius et de ses hommes. Les Romains tentent bien de rejoindre leurs retranchements mais il ne leur laisse pas le temps de se barricader. « …[Spartacus] le suivit et le traqua pied à pied, lui tua beaucoup de monde et prit son camp. » Toujours d’après Plutarque, « Cossinius tomba lui aussi ». A nouveau, un magistrat de Rome mord la poussière. A l’amertume de la défaite, Cossinius joint le ridicule d’avoir dû s’enfuir nu de son bain et de mourir de la main d’un esclave. A ce sort humiliant il ajoute la honte de perdre ses étendards et ses faisceaux. De plus, cette défaite permet encore d’améliorer les équipements des hommes de Spartacus. Chaque esclave victorieux s’empresse de s’emparer du casque, du glaive ou du bouclier du soldat qu’il vient de tuer.
Dans cette partie méridionale de l’Italie la défaite romaine a un grand retentissement. Les esclaves et les ruraux libres les plus pauvres doivent être chaque jour plus nombreux à faire cause commune avec Spartacus. Il faut sans doute y voir la grande différence de situation qui existe entre les citoyens des cités et les populations rurales du sud de l’Italie. Les intérêts des uns et des autres sont diamétralement opposés. Les citadins, souvent hellénisés ou en voie de romanisation, ont les mêmes intérêts et les mêmes modes de pensée que les Romains. Les hommes des campagnes, au contraire, vivent sous l’emprise économique et sociale des villes et de leurs notables. Bergers ou paysans, ils ne se sentent aucunement solidaires de leurs maîtres quand les esclaves décident d’attaquer. Dans cette partie de l’Italie qui correspond au talon de la Botte, la petite propriété a encore plus souffert que dans d’autres régions de la voracité des grands latifundia . Peu à peu, les petits propriétaires ont été chassés, et leurs terres réunies dans d’immenses propriétés vouées à l’élevage extensif. Les troupeaux transhumants y sont conduits par des pasteurs à demi sauvages qui redescendent des montagnes en novembre, justement à l’époque où le pays est traversé par les armées de Spartacus et de Varinius. Au XIX e siècle, un voyageur décrira encore le flot ininterrompu, pendant plusieurs jours, de ces « colonnes de bœufs à demi sauvages conduits par des pâtres à l’air farouche qui chevauchent avec de longues lances, et surtout d’immenses bandes de moutons 61 ». Vingt siècles plus tôt, les bœufs et les moutons sont déjà là et les hommes doivent avoir un air tout aussi farouche. En 186 av. J.-C., ces pâtres de l’Apulie s’étaient déjà révoltés contre Rome et le préteur Lucius Postumius dut en condamner plus de 7 000 à mort 62 . Un siècle après, leur situation misérable n’a pas changé lorsque paraît Spartacus. L’irruption de milliers d’esclaves révoltés constitue une opportunité inespérée de reprendre les armes. Dans le cas de la bataille des « bains de Salines », il semble que ce soient eux qui aient pris l’initiative d’attaquer les soldats de Rome.
Les hésitations de Varinius
Forte de ce succès, l’armée de Spartacus, appuyée par une partie des populations locales, peut à présent se
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