Spartacus
brigands. Malgré leur nombre, les esclaves ne semblent pas vouloir attaquer. Le zèle des soldats finit par entraîner Varinius lui-même. Heureux de cette ardeur nouvelle, abandonnant la prudence, oubliant que la plupart de ses hommes sont des « soldats novices, non encore éprouvés », le préteur décide de passer à son tour à l’offensive. Malgré l’avancement de la saison, Varinius annonce à ses cohortes qu’il a décidé de « les conduire contre le camp des fugitifs ». Avec enthousiasme, chaque soldat court à son bouclier, à son pilum et à son glaive. La tête couverte d’une peau de loup, les porte-enseignes des quatre cohortes arrachent de terre leurs étendards et se mettent en marche au son des trompes de cuivre.
Pourtant, la mâle assurance des Romains se refroidit rapidement. Arrivés face à l’armée de Spartacus, ceux-ci peuvent prendre la mesure de cette troupe qui compte sans doute déjà plusieurs milliers d’hommes bien armés. A la vue de cette armée nombreuse et qui semble disciplinée, le courage des hommes de Varinius faiblit. En comptant les dépouilles prises sur les cadavres des hommes de Claudius, de Furius et de Cossinius, et malgré les pertes subies par Oenomaus, Spartacus peut certainement aligner plus de 5 000 ou 6 000 hommes correctement équipés, soit l’équivalent d’une légion complète. A ce noyau dur qui tient entre ses mains les meilleures armes, il faut aussi ajouter la foule des pâtres et des fugitifs récemment arrivés. Ceux-là sont armés de bâtons durcis, qui ont, selon Salluste, la « dureté nécessaire pour combattre et porter des coups presque aussi dangereux que ceux des armes de guerre ». D’autres n’ont que des frondes ou des pierres placées dans le revers de leur tunique. Du fait même de la pauvreté de leurs armes, les plus mal lotis brûlent d’envie de tuer au plus vite un Romain pour s’emparer de son glaive, de son casque et de son bouclier. Devant ce spectacle redoutable, les soldats de Varinius « ralentissent le pas et gardent le silence, ils ne se présentent pas aussi superbement au combat qu’ils avaient demandé ». Comme ses hommes, le préteur doit être conscient que la partie est mal engagée. Sans doute ne s’attendait-il pas à affronter une armée que Spartacus et ses lieutenants ont certainement dû ranger en bon ordre. Sans doute ne s’imaginait-il pas que les armements pris lors des précédentes victoires de son adversaire pouvaient être aussi nombreux. Même s’il a pu recevoir quelques renforts, les quatre cohortes de Varinius se retrouvent probablement à un contre deux, voire un contre trois, sans compter la piétaille mal équipée que Spartacus a pu disposer sur ses ailes. Varinius et ses hommes ont peut-être même été manipulés par ce diable de Thrace. Les sources ne le disent pas, mais il y a fort à parier que Spartacus n’est pas venu rôder autour du camp romain avec toute son armée. Il a très bien pu attirer les Romains sur son terrain en feignant l’indécision pour mieux les inciter à sortir de leur camp. Varinius a eu tort de vouloir cueillir seul les lauriers de la victoire avant que le gros des renforts n’arrive de Rome. Entouré de ses six licteurs et de quelques jeunes officiers, il voit bien que la résolution de l’ennemi entame le courage de ses hommes. Il sait maintenant qu’il ne peut plus reculer. Battre en retraite par ces chemins et ces bois fragmenterait à coup sûr son armée. Ses hommes deviendraient alors une proie facile pour ces brigands guidés par les gens du pays. Incapables de manœuvrer, ses soldats seraient tous égorgés comme des moutons voués au sacrifice. De plus, même s’il réussissait à se replier en bon ordre, le Sénat ne lui pardonnerait pas cette nouvelle humiliation. Sa fonction de préteur s’achève dans quelques semaines et jamais il ne pourrait espérer atteindre le consulat. Sa carrière se terminerait définitivement de la pire des façons, en associant pour toujours le nom honorable de sa famille à une débâcle. Alors, autant attaquer au plus vite avant que ses soldats sans expérience ne se débandent.
Avec un certain fatalisme, Varinius fait signe aux musiciens qui l’entourent. Aussitôt, le son métallique des trompes de cuivre retentit. Au signal, les étendards des cohortes et des centuries s’abaissent et la ligne s’ébranle. Une première fois les hommes de Varinius attaquent les rangs ennemis. Cette
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