Spartacus
cavalerie ; de la sorte, chaque homme est individuellement amené à frapper le corps nu et ensanglanté d’un soldat condamné à une mort honteuse. Cette expérience marquante les amènera tous à réfléchir. Contrairement à ses prédécesseurs, Crassus y gagne une réputation de chef inflexible. Appien en est bien conscient lorsqu’il affirme que « Quoi qu’il en soit, cet acte de vigueur rendit sa sévérité plus redoutable que le fer de l’ennemi. » Pour la première fois depuis le début de cette guerre servile, les Romains comprennent qu’il vaut mieux mourir face à Spartacus que revenir vaincu vers leur préteur. Il ne faut pas pour autant taxer Crassus de sévérité excessive. Du point de vue romain, il remet en vigueur une punition collective ancienne mais qui n’avait jamais été abrogée. Fidèle à la coutume des Anciens ( mos maiorum ), il fait preuve d’ auctoritas envers ses hommes et de pietas vis-à-vis des ancêtres en revenant aux vertus traditionnelles. Il n’y a donc rien à redire et ses soldats le comprennent ainsi 86 . De plus, les circonstances sont exceptionnelles : Spartacus victorieux est à quelques journées de marche de Rome et personne ne connaît ses véritables intentions. Face à ce nouvel Hannibal, tous les moyens sont bons.
Le nouveau Cunctator
Traumatisés par le revers de Mummius et plus encore par le spectacle des légionnaires qu’ils ont dû frapper à mort, les jeunes soldats de l’année 72 doivent être terrorisés par ce chef implacable que le Sénat leur a donné. D’après Salluste, Crassus sait alors habilement souffler le chaud et le froid. « Ensuite, sa colère étant apaisée, il réconforta le lendemain ses légionnaires par des paroles encourageantes. » Après avoir réorganisé son armée et intégré les restes des légions consulaires, le préteur s’attelle en premier lieu à protéger Rome. Une fois installé aux débouchés des défilés de l’Apennin, sur les vallées du Tibre et de la Nera, il peut attendre Spartacus. Si l’objectif des esclaves demeure Rome, Crassus est en mesure de l’arrêter en prenant position sur ces passages obligés entre le Picenum et le Latium. Pourtant, le Thrace en a déjà décidé autrement. Quittant le Picenum qu’il a dû abondamment piller, il se remet en marche. La cavalerie de Crassus informe rapidement le préteur du mouvement des esclaves vers le sud. Sans doute soulagé, celui-ci fait alors preuve de la prudence qui a manqué à son lieutenant. Crassus temporise. Il observe Spartacus et ne se laisse pas attirer dans un piège.
Dans ce rôle, Crassus ne fait qu’imiter l’attitude adoptée par Fabius Maximus Quintus après la bataille du lac Trasimène en 217. Vaincus très lourdement à plusieurs reprises par Hannibal, les Romains nomment alors Fabius Maximus dictateur. Celui-ci décide de ne plus attaquer directement le chef carthaginois car, conscient de sa faiblesse, il préfère gêner les mouvements du chef punique et vaincre ses lieutenants. Moins prudents et plus présomptueux, les généraux romains ne suivent pas sa stratégie et tombent tête baissée dans le piège mortel de la bataille de Cannes, en 216 av. J.-C. Face au désastre et à la menace directe qu’Hannibal fait alors peser sur Rome, la stratégie proposée par le dictateur est finalement adoptée. Elle mène Rome à la victoire de Zama et vaut à Fabius Maximus le surnom de Cunctator, le « Temporisateur ». La référence à Hannibal et au Cunctator est certainement évidente dans l’esprit de Crassus. En 216, Rome est déjà menacée sur le sol italien par un ennemi qui a remporté plusieurs victoires. Comme le Cunctator, Crassus prône la prudence. Comme pour son illustre prédécesseur, la désobéissance de son lieutenant Mummius a entraîné une défaite inutile. Que ce parallèle devienne évident dans l’esprit des Romains et toutes les ambitions politiques de Crassus peuvent se réaliser. Il faut aussi ajouter une autre raison à cet attentisme. Les légions de Crassus sont constituées pour une large part de jeunes recrues sans expérience. En repoussant l’échéance d’un choc frontal avec Spartacus, le préteur prend le temps de former ses jeunes soldats sous la férule des vieux centurions qui ont rejoint les emblèmes de ses cohortes. Ce souci d’améliorer son outil guerrier apparaît bien chez Salluste. Pour pratiquer ses opérations de harcèlement, Crassus tire « de chaque
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