Staline
tard, une lettre anonyme d’un membre de la commission de
dépouillement dénonce la fraude au Comité central. Staline en a vu d’autres,
mais juge intolérable cette « atteinte à la démocratie ». Enfin,
Popkov, le secrétaire du Parti de Leningrad, a proposé de créer un parti
communiste russe doté d’un Comité central, à l’image des autres Républiques de
l’Union. Ce qui reviendrait à dresser un parti russe contre le parti soviétique…
Staline sent dans tout cela l’odeur sulfureuse du « fractionnisme ».
À la fin de janvier 1949, il constitue une commission d’enquête sur les
dirigeants de Leningrad, sous la férule de Malenkov. Elle boucle son travail en
deux semaines, et dépose sur le bureau de Staline un dossier accusant les
Léningradois de constituer une fraction clandestine désireuse de s’emparer du
Parti et de l’État. Le 16 janvier 1946, Kouznetsov a souhaité que « Leningrad
fournisse au pays tout entier de nouveaux cadres, hommes de sciences,
dirigeants du Parti et de l’État [1414] ».
Ce plan perfide a été mis en œuvre à la conférence fatale de décembre 1948.
Popkov s’y est en effet vanté que le parti de Leningrad ait promu 800 militants
à des tâches de direction « aux frontières de la région ». Il y a
donc bien un clan organisé qui veut contrôler l’URSS…
Staline, avant de s’en prendre à eux, veut boucler la
première étape de l’affaire du Comité antifasciste juif. La Sécurité s’y
consacre durant tout le mois de janvier 1949. Le 28 décembre, elle a
déjà arrêté sur son lit d’hôpital le nouveau directeur du Théâtre-Juif,
Zouskine…, avant de fermer l’établissement. Le 13 janvier, elle arrête
Jozef Iozefovitch et Boris Chimeliovitch. Le même jour, Malenkov et Chkiriatov,
président de la commission de Contrôle, convoquent Salomon Lozovski, lui
rappellent la lettre du 15 février 1943 qu’il a corédigée –
demandant la création d’une République juive en Crimée –, l’invitent à
reconnaître le caractère criminel de ses activités, puis, dans une note à
Staline, demandent que Lozovski soit exclu du Comité central. Il l’est
effectivement le 18 janvier 1949, puis est arrêté le 25. La Sécurité
arrête, les jours suivants, les écrivains Leib Kvitko, David Bergelson, Peretz
Markich, l’académicienne Lina Stern, Solomon Bregman, vice-ministre du Contrôle
d’État de Russie. En tout une cinquantaine de dirigeants et membres du Comité
se retrouvent sous les verrous.
Le 15 février 1949, Staline fait condamner par le
Bureau politique les « actions anti-Parti de Kouznetsov, Rodionov et Popkov »,
d’abord simplement blâmés et démis de leurs fonctions. La résolution et les
sanctions restent secrètes. Six jours plus tard, leurs affaires se gâtent. Lors
d’une réunion des cadres de Leningrad, Malenkov dénonce leur « esprit de
groupe » et les accuse d’avoir suivi « l’exemple de Zinoviev [1415] ». L’accusation
relie les « coupables » aux fusillés de 1936. Kouznetsov est arrêté
le 13 août, Voznessenski, rattaché au groupe, est chassé du Bureau
politique en mars, démis de toutes ses fonctions gouvernementales en septembre et
arrêté le 27 octobre, « pour lien avec le groupe anti-Parti de
Leningrad [1416] ».
L’instruction de l’affaire constitue, toutes affaires
cessantes, l’essentiel de l’activité du Bureau politique, qui y consacre dix de
ses seize réunions en 1949. Ainsi, en pleine guerre froide, l’année même de l’expérimentation
de la bombe atomique soviétique, le Bureau politique de Staline consacre plus
de la moitié de son temps à la purge interne de l’appareil ! C’est la
seule raison de l’augmentation inattendue du nombre de ses réunions. Le 21 juillet 1949,
dans une note à Staline, le ministre de la Sécurité, Abakoumov, affirme que
Kapoustine, le deuxième secrétaire du PC de Leningrad, est un vieil agent de l’Intelligence
Service. Les dirigeants de la Sécurité d’État de Leningrad, écrit-il, le
savaient depuis longtemps mais leur chef, Koubalkine, a fait hypocritement
détruire le dossier, ce qui évite à Abakoumov d’avoir à le vérifier. Staline,
indigné de cette double perfidie, contresigne la décision d’arrêter les deux
hommes. Abakoumov, comme Malenkov, tente de tracer un fil rouge reliant les
victimes aux opposants du passé, dont l’image hante toujours Staline. Ainsi
accuse-t-il
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